1. Introduction : Plantons le décor
  2. Outils d'émancipation ou d'aliénation ?
  3. Mon approche de la recherche
  4. Apprendre de nos échecs : Les leçons de FairCoop
  5. Introduction au Deep Adaptation Forum (DAF)
  6. Le Diversity & Decolonising Circle
  7. L'équipe de recherche
  8. Le paysage du DAF : Cultiver la relationnalité
  9. Considérer le DAF d'un point de vue décolonial
  10. Le changement collectif radical

Le paysage du DAF : La relationnalité en pratique

(un résumé)

Comme je l'ai mentionné précédemment, au cours de ce projet, trois courants de recherche distincts se sont déroulés simultanément au sein du Deep Adaptation Forum (DAF), au sein des espaces d'apprentissage (social learning spaces) suivants :
- Le cercle de la diversité et de la décolonisation (D&D) ;
- L'équipe de recherche ; et
- DAF en tant que paysage de pratiques.

Chacun de ces axes de recherche était une évaluation des processus d'apprentissage social que Wendy et moi avons documentés au sein du DAF, en utilisant la méthodologie Wenger-Trayner. Pour en savoir plus sur les communautés de pratique et les espaces d'apprentissage social, voir ce résumé.

EN BREF

  • De nombreux·ses participant·e·s au DAF ont trouvé que le réseau les aidait à intégrer les émotions difficiles qu'ils et elles ressentent face à la situation planétaire, et à les transformer en actions génératives.
  • Un autre domaine important de changement personnel et collectif qui a été exploré et mis en évidence dans le DAF a été la culture de nouvelles formes de relationnalité, afin de surmonter l'état d'esprit de séparation et d'aliénation qui caractérise la culture moderne dominante. Le DAF a davantage mis l'accent sur cet aspect que sur les formes d'activisme appelant à des changements dans les structures sociopolitiques.
  • Ces nouvelles façons d'être et d'entrer en relation ont été encouragées en particulier dans de petits groupes auto-organisés, par l'utilisation de différentes pratiques : Deep Relating, Earth Listening, ou Wider Embraces.
  • Il est possible que, de cette manière, le DAF ait permis à de nombreux·ses participant·e·s, collectivement, de s'éloigner de la conscience instrumentale dominante, et de passer à une conscience sociale ou écologique collaborative, par le biais d'un processus de transformation de leur vision du monde. Ce processus implique le développement d'un esprit plus critique à l'égard de sa propre culture et de sa propre société, d'une autoréflexivité, d'une plus grande capacité à être conscient·e et attentif·ve à la conscience des autres, et de la capacité à établir un lien émotionnel et à faire preuve d'empathie. Toutefois, plus de recherches sont nécessaires pour confirmer cet aspect.
  • Plusieurs facteurs ont été mentionnés comme jouant un rôle important pour permettre à cet apprentissage social d'avoir lieu. Il s'agit notamment d'éléments de la conception des espaces d'apprentissage social du DAF (un objectif et une orientation clairs, la présence de modérateur·ice·s ou de facilitateur·ice·s, des appels vidéo réguliers...) ; l'accent mis sur les processus relationnels et somatiques dans des petits groupes ; l'attention portée à la culture et à l'atmosphère du groupe (sécurité psychologique et émotionnelle, accueil de tous·tes, accent mis sur les relations...) ; et la composition sociale de ces groupes (personnes partageant les mêmes idées, diversité, et présence de facilitateur·ice·s clés).
  • Au contraire, les facteurs-obstacles comprenaient des problèmes techniques liés aux plateformes de communication et des problèmes organisationnels concernant la vision et l'objectif du réseau, le pouvoir et le leadership, ainsi que la manière de gérer l'antiracisme et la décolonisation au sein du DAF.
  • L'auto-organisation est un principe directeur important et une méthode d'organisation au sein du DAF. Elle a été encouragée par la création de structures sociales fournissant un échafaudage utile (par exemple, en permettant à des petits groupes de se former de manière autonome) et par des événements auto-organisés, permettant aux gens de se rencontrer et de former des groupes. Certains de ces efforts ont été plus fructueux que d'autres, et il reste encore beaucoup à apprendre pour que ces méthodes soient largement appliquées et comprises dans le réseau.
  • Le modèle de gouvernance émergent et l'orientation stratégique du DAF ont été perçus comme déroutants par certain·e·s participant·e·s, qui regrettent l'absence d'un appel à l'action spécifique. Il est également possible que le réseau ait eu plus de mal à trouver les fonds nécessaires pour poursuivre ses activités, du fait de ces orientations.

1. Les paysages de pratique

Je vais maintenant résumer quelques résultats clés du troisième axe de recherche - sur le DAF en tant que paysage de la pratique. Mais de quoi s'agit-il exactement ?

Dans un précédent résumé, j'ai fait mention d'un concept important pour cette recherche - celui de communautés de pratique, c'est-à-dire des « groupes de personnes qui partagent une préoccupation ou une passion pour quelque chose qu'elles font, et qui apprennent à mieux le faire en interagissant régulièrement. » Dans leur théorie de l'apprentissage social, Etienne et Bev Wenger-Trayner (2015) affirment que ces communautés tendent à faire partie de paysages de pratique complexes et politiques, impliquant d'autres communautés, qui sont réunies par un corpus de connaissances commun. L'apprentissage social peut être considéré comme ayant lieu non seulement au sein de chaque communauté de pratique, mais aussi en relation avec ce paysage plus large. Ainsi, une grande partie de l'apprentissage peut avoir lieu aux frontières entre les communautés. Selon moi, le DAF peut être considéré comme un paysage complexe, rassemblant diverses communautés de pratique. Plusieurs communautés de ce type ont existé au sein du DAF pendant la période de notre recherche - comme le groupe des facilitateur·ice·s, ou le cercle D&D.

Quelles sont les principales « raines de changement » qui ont été cultivées au sein des espaces d'apprentissage social et des communautés de pratique du DAF, dans l'ensemble du paysage ? Quelles étaient les conditions - ou le « terreau » nourricier - permettant à ces changements de se produire, ou les empêchant de se produire ? Qui sont les « semeur·se·s » qui ont contribué à nourrir le sol et à semer les graines ? Et quel type de leadership en matière d'apprentissage ont-ils mis en œuvre pour ce faire ?

Il y a de nombreuses façons de répondre à ces questions, selon la manière dont on oriente le prisme « semences-terreau-semeur·se·s. » Pour une présentation (très) détaillée de ces résultats, veuillez consulter le Chapitre 5 de ma thèse.

Dans ce résumé, je commencerai par discuter des aspects affectifs et relationnels que les participant·e·s ont mentionnés comme constituant des domaines majeurs d'apprentissage et de changement dans le DAF. Je me pencherai ensuite sur les facteurs habilitants, y compris l'auto-organisation, qui ont rendu ces changements possibles. Dans le prochain résumé, j'utiliserai une perspective différente et discuterai de la mesure dans laquelle le DAF pourrait permettre davantage de changements collectifs radicaux, sous l'impulsion de futur·e·s semeur·se·s, dans une perspective décoloniale.

1. Graines de changements personnels et collectifs

1.1 Est-ce que penser à l'effondrement mène les gens au désespoir et à l'inaction ?

Commençons par une opinion fréquemment exprimée par les détracteurs de l'AR et des réseaux et mouvements axés sur l'effondrement : croire en l'effondrement de la société nous conduirait au désespoir et, par conséquent, à l'abandon de toute volonté de créer un changement social. Par exemple, le scientifique Michael E. Mann considère l'AR comme un cadrage « catastrophiste » et « invalidant », dissuadant les gens de prendre part aux processus politiques pour exiger des changements systémiques face au changement climatique, et renforçant ainsi les tendances actuelles vers l'« inaction » et le « désengagement ».

Plusieurs dirigeants de XR ont reconnu la complémentarité entre leur approche et le cadre de l'AR, et même l'élan que l'AR a donné à leur action. Et cette action a eu un impact considérable, du moins sur le discours public au Royaume-Uni. D'entrée de jeu, cela remettait donc sérieusement en question les arguments selon lesquels l'AR serait contre-productive pour générer une pression politique sur des sujets tels que le changement climatique.

C'est désormais confirmé : les données de ce projet de recherche montrent que ces arguments peuvent être entièrement rejetés.

En effet, les résultats des trois enquêtes diffusées dans le DAF, et de plusieurs entretiens, montrent que les répondant·e·s sont devenu·e·s plus aptes à vivre avec les émotions difficiles qu'ils et elles ressentent face à la situation mondiale, et qu'ils et elles se sentent moins isolé·e·s, moins désespéré·e·s, et moins effrayé·e·s grâce à leur participation aux groupes du DAF. En outre, une nette majorité des participant·e·s à mon sondage CAS avaient décidé de changer leur vie à la suite de leur engagement sur le thème de l'effondrement (y compris sur les dimensions pratiques, sociales, psycho-spirituelles et morales), et les répondant·e·s les plus profondément impliqué·e·s dans le DAF étaient beaucoup plus susceptibles d'avoir pris de telles mesures. Ces résultats confirment ceux obtenus dans une autre enquête, qui indiquait que les personnes sont plus susceptibles de prendre des initiatives au sein de leur communauté si elles anticipent l'effondrement de la société. Ces résultats sont également cohérents avec ceux obtenus dans le cadre d'un autre projet de recherche qualitative sur l'AR mené en Allemagne par Chris Tröndle, qui a constaté qu'aucune des personnes interrogées n'était devenue apathique en raison de son anticipation ou de son expérience de l'effondrement. En fait, ils et elles avaient tendance à s'impliquer dans diverses formes d'activisme ou d'initiatives axées sur le changement social, et à tirer un sentiment d'inspiration et d'autonomisation de leur participation à une communauté de personnes partageant les mêmes idées.

Plusieurs des conversations de recherche que j'ai menées ont confirmé à quel point il est important de faire l'expérience d'une à une communauté, et de la participation à cette dernière comme moyen d'aborder de manière générative des sujets difficiles tels que l'effondrement de la société.

Cependant, mes données de recherche indiquent également que de nombreux·ses participant·e·s ne considèrent pas leur participation au DAF comme une forme d'activisme. Par exemple, la plupart des répondant·e·s au sondage CAS n'étaient pas intéressé·e·s par une discussion sur l'effondrement sociétal du point de vue du changement politique, bien que les participant·e·s les plus expérimenté·e·s aient exprimé un sentiment de forte curiosité à l'égard de ce sujet. Mais cela ne signifie pas que les participant·e·s au DAF ne s'engagent pas dans l'activisme par ailleurs : plus de 12 % des répondant·e·s au sondage DUS ont déclaré être impliqué·e·s dans divers groupes et mouvements d'activistes. Cela semble montrer que la plupart des participant·e·s ne considèrent pas le DAF comme un réseau axé sur le changement politique, mais qu'ils et elles aspirent à un tel changement. De même, une nette majorité des personnes interrogées dans le cadre du sondage RCS aspiraient à diverses formes de changement collectif radical, mais seule une minorité d'entre elles considéraient que le DAF facilitait la « refonte radicale des structures politiques et économiques » à laquelle elles aspiraient.

Ce qui ressort de mes recherches, c'est que même si le fait d'aborder le sujet de l'effondrement de la société peut être une source d'émotions difficiles, cela ne semble pas être en soi une cause d'apathie - en particulier lorsque l'on peut bénéficier du sentiment de faire partie d'une communauté d'autres personnes partageant les mêmes idées. Les petits groupes affinitaires semblent particulièrement bien adaptés au soutien et à l'encouragement mutuels, comme le montre clairement l'exemple du cercle D&D. En fait, la plupart des personnes interrogées dans le cadre de mon enquête et de mes entretiens semblent impliquées dans diverses activités et initiatives prosociales, qui peuvent inclure l'activisme politique. Cependant, peu d'entre elles considèrent le DAF comme un vecteur de cet activisme.

La question de savoir si les groupes du DAF s'impliqueront davantage dans des efforts visant à générer un changement politique reste ouverte. Mais au cours de cette recherche, les aspirations dominantes dans le réseau - en particulier parmi les « semeur·se·s » les plus impliqué·e·s - concernaient d'autres dimensions du changement collectif : « L'orientation vers la connexion, l'amour bienveillant, et la compassion pour tous·tes les êtres » et « Un changement transformateur des visions du monde et des systèmes de valeurs » (comme discuté dans ce rapport).

Examinons de plus près ces intentions, comme un autre type important de « graines d'apprentissage social » cultivées dans le paysage du DAF.

1.2 La relationnalité en tant que réponse aux crises planétaires

1.2.1 Le besoin de transformations internes

De plus en plus de chercheur·se·s, d'écrivain·e·s et d'artistes appellent à de profondes transformations intérieures, dans la manière dont nous nous percevons et dont nous percevons le monde, et dans la manière dont nous abordons la connaissance et l'acte de connaître. Ils et elles affirment que nous devons adopter une approche relationnelle, qui tient compte du fait que la vie toute entière (et l'univers tout entier) est composée de relations, et affirmes que « les multiples crises actuelles sont dues à une aliénation de nous-mêmes, d'autrui, et du monde naturel ». C'est par exemple le cas l'écrivain et intellectuel public français Alain Damasio :

La crise politique actuelle, en Occident, est une crise de nos relations aux autres. Une anesthésie croissante des modes d'attention et de disponibilité que nous entretenons avec les autres, tous vivants confondus. … L'enjeu premier de ce qu'on pourrait baptiser une ‘polytique du vivant’ est donc de réactiver nos capacités à lier - sous toutes leurs formes et de toutes nos forces. Puisque, contrairement à la doxa libérale, ce n'est pas la quête d'une indépendance individuelle qui libère, ce sont les interdépendances et ce sont les liens : ce qu'ils nous permettent et ce qu'ils tissent entre nous en termes de possibilités fécondes.

Mais comment envisager que ce type de transformations intérieures ait un effet concret dans le monde ?

Les travaux de la théoricienne des systèmes Donella Meadows montrent que la transformation du monde intérieur des personnes est le point de levier le plus profond, et le moins exploré, qui peut aider à faire évoluer les systèmes sociaux vers un état complètement nouveau, comme le montre le graphique ci-dessous.

leverage points
Points de changement d'un système, basés sur Meadows (1999) et leur relation avec les sphères pratique, politique et personnelle de la transformation. Source : O'Brien (2018)

Ainsi, pour créer un changement profond dans la vie des gens et dans la société, il semble crucial que notre culture moderne commence à reconnaître que "nous sommes entièrement faits de relations, comme l'est l'ensemble du monde naturel" (Spretnak, 2011). Cette conscience devrait infuser et informer toutes les actions politiques et pratiques, car les défis auxquels nous sommes confronté·e·s sont adaptatifs, et pas seulement techniques - les relever nécessite en fait de nouvelles croyances, valeurs, et visions du monde.

De plus en plus, les cercles d'activistes et les mouvements sociaux se concentrent également sur les relations et la promotion d'une éthique relationnelle en tant que première étape vers la création d'un changement social et culturel. Par exemple, l'activiste et universitaire adrienne maree brown (2017), s'appuyant sur les travaux fondamentaux de la théoricienne du leadership Margaret Wheatley, place la transformation à long terme des relations au cœur de sa théorie et de sa pratique de la stratégie émergente :

[Nous devons nous] concentrer sur les connexions critiques plutôt que sur la masse critique - construire la résilience en construisant nos relations.

De même, les participant·e·s au collectif d'artistes, de chercheur·se·s et d'activistes Gesturing Towards Decolonial Futures affirme que « c'est la qualité de nos relations (avec tous·tes les êtres) qui détermine les possibilités politiques qui sont viables dans tout contexte particulier ». Pour elles et eux, il est impératif de créer de nouveaux types de configurations sociales basées sur une politique qui puisse « maintenir l'intégrité de nos relations, et les responsabilités qui en découlent. »

Dans quelle mesure les groupes du DAF peuvent-ils être considérés comme favorisant l'émergence de visions du monde et de manières d'être au monde plus relationnelles ?

1.2.2 La relationnalité au sein du DAF

Une partie importante du discours à propos du DAF, depuis sa création, a mis l'accent mis sur la promotion de nouvelles formes de relationnalité en réponse à la situation mondiale difficile (voir l'annexe 5.4 pour plus de détails). Se tourner vers l'amour et surmonter l'état d'esprit de séparation basé sur le rejet (« othering ») des autres personnes et du monde naturel a été décrit par Jem Bendell et Katie Carr "The Love in Deep Adaptation: A philosophy for the Forum" comme un aspect fondamental de « la transcendance de l'effonderement » - c'est-à-dire « les changements psychologiques, spirituels et culturels qui peuvent permettre à un plus grand nombre de personnes d'éprouver une plus grande équanimité à l'égard des perturbations futures et de la probabilité que notre situation échappe à notre contrôle ».

Bien que le Forum ait commencé par mettre davantage l'accent sur la « préparation à l'effondrement », en se référant aux « mesures mentales et matérielles qui aideront à réduire les perturbations de la vie humaine - permettant un approvisionnement équitable des éléments de base tels que la nourriture, l'eau, l'énergie, les systèmes de paiement et la santé » - la première approche est devenue un élément central à la fois de la philosophie et de la pratique du Forum. Elle s'est concrétisée, par exemple, dans la communauté de pratique des facilitateur·ice·s de l'AR, qui ont proposé un certain nombre d'ateliers en ligne gratuits et réguliers, plusieurs fois par semaine, en particulier depuis le début de la pandémie de Covid-19 en 2020.

Il n'est donc pas surprenant que lorsque l'équipe de recherche a demandé aux participant·e·s au DAF quelles étaient les formes principales d'apprentissage social qu'ils et elles expérimentaient dans le Forum, de nombreuses réponses ont suggéré que faire l'expérience de nouvelles façons d'être et de lier les un·e·s aux autres constituait un aspect crucial de leur participation. Beaucoup ont dit qu'ils et elles trouvaient de nouvelles façons d'entrer en relation avec eux-mêmes, avec les autres, avec les autres qu'humains ou avec la planète dans son ensemble, et qu'ils et elles éprouvaient un plus grand bien-être grâce à l'expérience de ces modalités relationnelles.

Mais cela va au-delà du niveau personnel. La relationnalité a en effet des implications culturelles et politiques, parce que le DAF est une communauté préfigurative. Les groupes préfiguratifs cherchent à incarner dans leur pratique même les formes de relations sociales, de prise de décision, de culture et d'expérience humaine qui sont en fin de compte souhaitées pour l'ensemble de la société. J'ai le sentiment que l'accent mis sur les relations est au cœur de la pratique préfigurative des groupes du DAF, et que la culture de la relationnalité semble être une « graine de changement » essentielle qui pousse au sein du réseau.

Le cercle D&D est un exemple de groupe DAF dans lequel de solides liens de confiance et d'appartenance ont été consciemment cultivés par le biais d'appels et de partages réguliers, et par la volonté de s'engager dans des processus de transformation des conflits. La plupart des expériences de transformation personnelle mentionnées par les membres du cercle avaient trait à diverses formes de relationnalité, notamment :

  • comprendre sa propre implication dans les systèmes globaux d'oppression (rapport à la société ou au monde) ;
  • trouver une sécurité psychologique inédite en présence des autres (relation au groupe) ;
  • surmonter l'oppression intériorisée et se sentir plus fort·e en conséquence (relation à soi-même).
  • Donner la priorité à l'entraide et à l'établissement de relations a été un aspect important de la réalisation de ces changements dans le cercle, et de l'acquisition de l'endurance nécessaire pour s'engager dans les divers projets défendus par ce groupe, qui ont été émotionnellement difficiles. Plus récemment, les efforts de collaboration initiés en soutien aux femmes ukrainiennes par plusieurs participant·e·s au DAF ont été clairement catalysés par la forte confiance mutuelle qui avait été cultivée entre elles et eux.

    Bien que les exemples ci-dessus puissent sembler n'être que de petits exemples de changement collectif rendu possible par la relationnalité, ils me rappellent les actions d'entraide répandues et auto-organisées qui ont eu lieu dans divers endroits du monde, suite à l'apparition de la pandémie de Covid-19 - d'Athènes à Londres et au-delà - incarnant des réponses motivées par une éthique relationnelle claire.

    Se pourrait-il que les communautés (en ligne et hors ligne) qui placent les relations au premier plan, partout dans le monde, contribuent à semer les graines d'une culture plus solidaire, qui abandonne l'individualisme et le mythe de la séparation, et qui permette aux humains et aux autres de survivre aux diverses formes d'effondrement social et écologique que la culture dominante est en train de précipiter ? Et si ces communautés étaient même capables de faciliter des changements de conscience collectifs ?

    1.2.3 Favoriser la conscience sociale et écologique

    Des chercheur·se·s ont montré que la modernité a conduit à la domination culturelle de la conscience instrumentale, qui valorise principalement ce que les humains peuvent accomplir en objectivant le soi, les autres et le reste du monde vivant, comme des outils ou des ressources. Cette tendance à l'instrumentalisation conduit à une vision « profondément tronquée » du soi, qui rejette ou ignore « la qualité de nos relations mutuelles et de notre contexte, nos capacités inhérentes de guérison, de renouvellement et d'évolution, et notre mérite de simplement séjourner en tant qu'habitant·e intégral·e de la terre » (p.11). Ce point de vue a causé de la souffrance, de l'aliénation, un mépris pour la culture de la vie spirituelle, et est à l'origine de la situation sociale et écologique actuelle.

    Ces auteur·ice·s appellent à des pratiques transformatrices et à des collectifs qui peuvent aider à nourrir une manière très différente d'être dans le monde : la conscience écologique, enracinée dans la connaissance intime et le sentiment que le soi personnel est formé par des relations co-constituées, y compris celles que nous avons avec d'autres êtres humains, mais aussi d'autres espèces, et « toutes les puissances du monde ». Peut-être que les groupes DAF constituent des espaces utiles pour le développement de cette conscience ?

    Si tel est le cas, le développement d'une telle conscience peut constituer ce que d'autres chercheur·se·s appellent une transformation de la vision du monde - c'est-à-dire « un changement fondamental de perspective qui entraîne des changements durables dans le sentiment de soi, la perception de la relation au monde qui nous entoure, et la façon d'être ». Il ne s'agit pas seulement de nouvelles façons de voir le monde sur le plan intellectuel, mais de quelque chose de beaucoup plus profond : des changements dans notre épistémologie - ou comment nous savons ce que nous savons - et dans notre ontologie - les catégories de base à travers lesquelles nous donnons un sens à la réalité. Une fois ces catégories transformées, notre comportement ne peut plus rester le même.

    Dans des conditions favorables, les expériences transformatrices peuvent conduire à une conscience sociale élargie, c'est-à-dire à une conscience plus aiguë de l'appartenance à un ensemble plus vaste et à une communauté d'individus interdépendants. Ce phénomène est corrélé à des comportements plus compatissants et orientés vers le service, car les personnes sont « inspirées pour agir en tant qu'agent·e·s d'un changement positif dans leur communauté immédiate et au-delà ». Pour Schlitz, Vieten et Miller, plusieurs capacités doivent être développées dans le cadre de ce processus, notamment :

    • L'esprit critique à l'égard de la manière dont notre expérience vécue et notre subjectivité sont façonnées par l'idéologie et les relations de pouvoir hégémonique, ainsi que par d'autres facteurs sociaux, culturels et économiques ;
    • L'autoréflexivité, comme clé d'une flexibilité cognitive accrue ;
    • une plus grande capacité à être conscient·e· et attentif·ve à la conscience des autres...
    • et donc la capacité de créer des liens émotionnels et la capacité d'empathie, ce qui peut conduire au désir d'améliorer le bien-être d'autrui. Bien que ce désir puisse initialement se manifester sous la forme d'un sentiment personnel de mission visant à sauver les autres, une conscience sociale élargie peut finalement amener les gens à réaliser les limites de cette approche, et à adopter des modes d'engagement dans le monde qui sont collaboratifs plutôt que prescriptifs.

    Les auteur·rice·s considèrent que les conversations et les récits « empouvoirants » sont essentiels à cet égard. Ces conversations peuvent être facilitées par des modalités qui renforcent la conscience sociale collaborative, en faisant émerger l'intelligence et la sagesse collectives du groupe - par exemple, en utilisant la technique du forum ouvert, ou les groupes de dialogue bohmiens.

    Il est intéressant de noter que plusieurs des modalités pratiquées dans les groupes du DAF semblent favorables au développement de ce type de conscience sociale élargie. Selon Katie Carr et Jem Bendell, l'animation d'un groupe d'AR favorise le développement d'une conscience critique, en ce sens qu'elle aide les gens à discerner si leurs pensées ou leurs comportements perpétuent des systèmes d'oppression et de destruction (esprit critique) ; elle encourage l'acceptation d'une incertitude radicale, voire la perception de soi comme un phénomène fluide et incertain (autoréflexivité et flexibilité cognitive) ; et elle laisse la place à l'expression vulnérable des sentiments, en particulier en ce qui concerne le sentiment de perte et de deuil, en tant que mode de relation qui encourage une compassion et une compréhension plus profondes des autres et de leur monde intérieur (connexion émotionnelle). Ces principes sont particulièrement mis en avant dans la pratique du « deep relating », qui est une modalité influencée par le dialogue bohmien, conçue pour l'expression authentique de l'expérience privée dans un contexte de groupe. Le deep relating invite les participant·e·s à « faire face, de manière critique et consciente, aux histoires auxquelles nous participons » et à faire émerger « des schémas inconscients dans le discours dominant » (p.14). Le deep relating pourrait donc contribuer à renforcer la conscience sociale collaborative.

    En outre, des pratiques telles que Wider Embraces ou Earth Listening, qui visent à explorer directement la connectivité d'une personne avec des dimensions d'existence autres qu'humaines, planétaires ou même cosmiques, peuvent également s'avérer utiles à cet égard. Selon Schlitz et ses collègues, « les changements de conscience ne doivent pas attendre des expériences aléatoires qui changent la vie, mais peuvent être provoqués par une pratique intentionnelle » (ibid., p.31). Les témoignages recueillis par le biais d'enquêtes auprès de participant·e·s aux groupes Earth Listening (EL) et Deep Relating (DR) font état d'expériences importantes de désapprentissage, qui semblent correspondre à l'expression d'une conscience sociale en expansion.

    Par conséquent, plusieurs éléments indiquent que l'accent mis sur la culture intentionnelle de nouvelles formes de relationnalité au sein du DAF, que ce soit à travers l'éthique générale du réseau ou à travers des pratiques spécifiques utilisées dans divers groupes du DAF, peut permettre aux participant·e·s de développer ou d'élargir leur conscience sociale et écologique.

    Deux mises en garde s'imposent néanmoins. Premièrement, la plupart des participant·e·s que nous avons interrogé·e·s étaient activement impliqué·e·s dans le DAF (et pouvaient être classé·e·s comme « participant·e·s actif·ve·s » ou « participant·e·s occasionnel·le·s » selon la typologie présentée dans le Chapitre 5). Ils et elles ont tendance à accorder beaucoup plus d'importance au processus relationnel que les participant·e·s plus périphériques (ou « très occasionnel·le·s ») qui ont répondu à nos enquêtes, et qui ont tendance à s'intéresser davantage aux formes pratiques d'adaptation à leur anticipation ou à l'expérience de perturbations sociétales (Annexe 5.4). Par conséquent, il serait important d'examiner dans quelle mesure le cadrage relationnel promu par les participant·e·s les plus actif·ve·s est influent auprès des personnes moins impliqué·e·s dans les événements en ligne, tels que le groupe Facebook de l'AR ou les groupes affiliés.

    Deuxièmement, la plupart des personnes interrogées ont déclaré que leur implication dans le DAF (ou même leur « prise de conscience de l'effondrement ») était le résultat d'un cheminement personnel progressif, s'étalant sur plusieurs années et intégrant diverses influences, vers la prise de conscience de l'étendue de la situation difficile dans laquelle se trouve le monde. En d'autres termes, ils et elles ont vécu l'apprentissage de l'AD comme une confirmation de ce qu'ils et elles pensaient déjà savoir, plutôt que comme une révélation soudaine. Ce phénomène a été observé dans une autre étude impliquant d'autres « deep adapters ». Il est donc possible qu'il en soit de même pour elles et eux en ce qui concerne l'importance de la relationnalité, et que ces personnes n'aient trouvé dans le DAF qu'un lieu où incarner une vision du monde contre-culturelle qu'elles avaient déjà adoptée. Pour ces personnes, le réseau a peut-être été moins un espace de transformation qu'une structure de soutien à une transformation déjà en cours. D'autres recherches seraient nécessaires pour clarifier cette question.

    Quoi qu'il en soit, il est encourageant de constater que parmi les six facteurs que Vieten, Amorok et Schlitz identifient comme essentiels pour faciliter les changements de comportement à long terme, à la suite d'une expérience transformatrice, plusieurs semblent présents dans le DAF - par exemple, un réseau social ou une communauté partageant les mêmes idées, ainsi qu'une langue et un contexte partagés.

    Examinons maintenant les différents facteurs qui ont permis ces expériences d'apprentissage social.

    2. Le terreau fertile

    2.1 Qu'est-ce qui aide l'apprentissage social à se développer ?

    Quelles sont les conditions qui ont permis aux graines relationnelles ci-dessus de croître et de prospérer ? Quels éléments du « terreau » social et/ou technique leur ont été les plus favorables dans la DAF - ou, au contraire, les ont empêchées de s'épanouir ?

    2.1.1 Différents facteurs utiles

    Les données issues des enquêtes et des conversations de recherche ont permis de mettre en évidence plusieurs catégories de facteurs que les participant·e·s au DAF ont jugés utiles à leur apprentissage au sein du réseau. Ces catégories se recoupent dans une certaine mesure :

    Conception de l'espace d'apprentissage social

    Les participant·e·s ont apprécié les espaces d'apprentissage social du DAF qui avaient un objectif et une orientation clairs, ainsi que des principes d'engagement connus de tous·tes. Les membres du groupe Facebook, par exemple, ont fréquemment mentionné leur appréciation de l'objectif clair du groupe tel qu'exprimé dans son document d'orientation (par exemple, il ne s'agit pas de discuter de l'actualité climatique). La présence de modérateur·ice·s - comme dans le groupe Facebook - ou d'animateur·ice·s - dans les groupes plus restreints - qui aident à maintenir les conversations « sur la bonne voie » a également fait l'objet de commentaires positifs. La clarté du champ d'application et de la facilitation ont également été jugées utiles pour permettre des discussions stimulantes et informatives, et donc pour qu'elles fonctionnent comme des espaces d'apprentissage dynamiques.

    Au sein des petits groupes du DAF, les appels vidéo réguliers (sur une base hebdomadaire, bihebdomadaire ou mensuelle) tendent à être la norme. Plusieurs participant·e·s ont apprécié le sentiment de continuité créé par un tel rythme de réunion, qui permet aux participant·e·s de nouer des relations solides au fil du temps, malgré l'éloignement géographique.

    Processus relationnels et somatiques

    Il est d'usage, dans la plupart des appels en ligne du DAF, de commencer la réunion par un moment de méditation collective d' « ancrage » ou de « présence » (voir l'annexe 5.3). Ce moment est suivi d'un « point météo » (check-in), au cours duquel chaque participant·e partage quelques mots sur son état physique et affectif actuel, ainsi que tout autre commentaire sur ce qui se passe dans sa vie. Les appels se terminent généralement par des « check-out » au cours desquels les participant·e·s expriment comment ils et elles quittent la réunion.

    Avant toute chose, nous devons nous connecter en tant qu'êtres humains, sinon le reste ne sert à rien.

    Les participant·e·s qui prennent régulièrement part aux appels du DAF, par exemple dans le cadre de leur implication au sein d'un groupe particulier, ont tendance à mentionner ces modalités relationnelles et somatiques comme étant particulièrement utiles à leur apprentissage. Dans les groupes Earth Listening ou Deep Relating, la plupart des réunions sont en fait consacrées à l'utilisation de ces processus.

    De telles rencontres et expériences ont eu un impact profond sur moi. Ma participation à ces rencontres a modifié mon rapport à la réalité, ainsi que la manière dont je m'exprime sur notre situation difficile - j'insiste de plus en plus sur la nécessité d'aborder ces questions sous l'angle des sentiments et de la relation.

    Culture et atmosphère du groupe

    Les participant·e·s au DAF mentionnent souvent l'importance de la sécurité psychologique et émotionnelle au sein des espaces de discussion. Ce sentiment de confiance envers les autres participant·e·s est encouragé par des accords de groupe, et divers points de référence textuels définissant l'éthique dans laquelle les discussions devraient se dérouler - tels que la Charte du DAF ou les Principes des réunions Deep Adaptation, documents qui invitent les participant·e·s à « revenir à la compassion, à la curiosité et au respect ». La sécurité est également encouragée par une culture de groupe au sein du DAF, qui vise à ce que « tout ce qu'on apporte soit bienvenu », y compris les émotions difficiles ; et à pardonner ses propres erreurs et celles des autres. Les modérateur·ice·s, les animateur·ice·s et les autres membres respecté·e·s de la communauté jouent un rôle essentiel en donnant l'exemple de ces comportements.

    Une culture de la capacité à nommer ce que vous observez est vraiment puissante dans tout groupe, je pense. Que n'importe quel·le membre d'un groupe ait la permission de dire, « Je remarque... » ou « Je ressens... » et d'exprimer ce sentiment, est quelque chose de vraiment puissant.

    Un autre élément facilitateur consiste à encourager les participant·e·s à consacrer du temps et des efforts à soutenir et entretenir les relations interpersonnelles au sein du réseau. A l'occasion, il peut s'agir de consacrer du temps à travailler sur les tensions et les conflits, qu'ils surviennent entre soi et une autre personne ou entre d'autres membres du groupe. Voir l'annexe 5.3, section 2.2.4, pour un exemple de processus de résolution de conflit au sein du cercle D&D.

    Le processus de résolution des conflits que j'ai suivi, pour un conflit dans lequel j'étais impliquée... m'a permis de me voir d'un point de vue extérieur, et m'a donné des idées profondes sur la façon dont différentes personnes bien intentionnées peuvent aborder la même situation.

    Apprécier la compagnie des autres

    Les participant·e·s au DAF expriment souvent leur profonde gratitude d'avoir trouvé des personnes partageant les mêmes idées, avec lesquelles ils et elles peuvent partager un sentiment d'appartenance et de communauté. Pour beaucoup, c'est parce que personne d'autre autour d'eux ne s'intéresse au thème de l'effondrement ; pour certain·e·s, le sentiment d'appartenance peut être lié à un objectif de groupe encore plus spécifique - qu'il s'agisse de se connecter à la Terre dans EL, ou de s'engager sur des questions d'injustice systémique dans D&D. Les facteurs favorables mentionnés ci-dessus sont probablement essentiels pour favoriser de tels sentiments de communauté et d'appartenance.

    J'ai l'impression de faire partie d'une communauté de personnes qui m'aiment et avec lesquelles je suis sur la même longueur d'onde. C'est extrêmement gratifiant.

    Cependant, ce sentiment ne doit pas signifier que l'on a l'impression de faire partie d'un collectif monolithique et homogène qui efface les différences personnelles. Dans EL comme dans le groupe Facebook de l'AN, les participant·e·s ont fait remarquer les enseignements tirés de leur rencontre avec une diversité d'opinions et de points de vue.

    Enfin, le fait d'être en compagnie d'autres personnes qui s'efforcent d'être bienveillantes et serviables les unes envers les autres est également souvent mentionné comme un important facteur utile. Parmi ces participant·e·s importants, la présence de « facilitateur·ice·s clés », c'est-à-dire d'« aîné·e·s » ou de « mentors » qui font partie du réseau depuis plus longtemps que soi, ou qui se sont peut-être heurté·e·s à des questions difficiles auxquelles on est également confronté, peut aussi être une source de courage, d'idées et d'inspiration.

    Facteurs entravants

    Quelles sont les conditions qui peuvent entraver l'apprentissage social au sein des groupes du DAF ?

    Questions de plate-formes

    Une première série de problèmes est liée aux caractéristiques techniques des plateformes de DAF : certain·e·s participant·e·s à la recherche ont mentionné avoir des problèmes avec Facebook (en raison de l'influence sociopolitique de la plateforme dans la société et de ses algorithmes manipulateurs) ; d'autres n'ont pas apprécié la lourdeur de Ning, une autre plateforme employée. Ces préoccupations techniques et philosophiques ont été intégrées dans une reconfiguration de l'infrastructure du DAF en 2022.

    Questions d'organisation

    D'ancien·ne·s participant·e·s au DAF ont expliqué qu'ils et elles avaient quitté le réseau pour diverses raisons. Tout d'abord, certain·e·s se sont senti·e·s en désaccord avec la vision et l'objectif du DAF, faute d'un « appel à l'action » plus clair (un sujet sur lequel nous reviendrons plus loin) quant à la manière de réduire les dommages en termes pratiques, en raison de l'orientation relationnelle du réseau.

    D'autres ont eu des problèmes avec le pouvoir et le leadership au sein du DAF. Il s'agissait notamment de problèmes interpersonnels impliquant le fondateur du DAF ou des membres de l'équipe centrale - certains participant·e·s ont trouvé le réseau trop hiérarchique et directif, tandis que d'autres ont regretté l'absence d'un pilotage stratégique plus clair. Cela montre que l'auto-organisation et le leadership émergent n'ont pas toujours été incarnés de manière utile par les personnes occupant des postes de direction au sein du DAF, qui n'ont parfois pas réussi à traiter de manière généreuse les questions de pouvoir, d'établissement de limites, et de responsabilité.

    Antiracisme et décolonisation

    Enfin, un autre point de tension récurrent a concerné les discussions sur les questions de justice sociale, et en particulier l'approche du cercle D&D - dont le travail a été soutenu par l'équipe centrale depuis le début (annexe 5.3), et dont plusieurs membres de l'équipe centrale ont fait partie. Certain·e·s participant·e·s ont trouvé cette orientation étouffante et manquant de nuances, tandis que d'autres ont estimé que l'on n'en faisait pas assez pour promouvoir la sensibilisation et la pratique de la justice sociale dans le DAF - une critique récurrente étant que les espaces DAF étaient souvent « trop polis » pour que les gens se remettent en question sur ces questions et développent plus d'« authenticité ».

    Il est possible que ces questions se seraient révélées moins litigieuses si elles avaient été plus explicitement associées au cadre de l'« adaptation radicale » et mentionnées lors de la création du forum. Je reviendrai sur ce point dans le prochain résumé.

    2.2 S'auto-organiser pour faire une différence

    Depuis la création du DAF, l'équipe centrale a encouragé l'auto-organisation au sein du réseau - de plus en plus au fil du temps. L'objectif était de répondre aux préoccupations concernant les risques d'effondrement sociétal induit par le climat et de canaliser l'énergie des gens dans des réseaux de soutien par les pairs - au lieu d'établir un plan d'action particulier comme étant le principal ou le seul pertinent.

    Comment l'auto-organisation a-t-elle été rendue possible dans le DAF, et dans quelle mesure ces pratiques ont-elles été couronnées de succès ?

    2.2.1 Création d'un échafaudage

    Tout d'abord, des structures ont été créées au sein du DAF pour encourager la création et la reconnaissance d'équipes et de groupes autogérés. Les noms utilisés pour désigner ces groupes ont évolué avec le temps - on a parlé de "task groups" (groupes de travail), de "circles" (cercles) et de "crews" (équipages) - mais leur objectif général et leur fonction sont restés les mêmes : plusieurs participant·e·s au réseau pouvaient se regrouper et exprimer au réseau leur souhait de collaborer à un certain projet ou d'explorer certains thèmes, de manière plus ou moins formelle (au début, les task groups devaient signer un protocole d'accord avec l'équipe centrale). Ces groupes pouvaient faire ce qu'ils voulaient tant qu'ils adhéraient à la philosophie du DAF. Certains de ces groupes ont également été soutenus par des réunions mensuelles d'apprentissage pratique, au cours desquelles les participant·e·s ont pu apprendre les ficelles de l'auto-organisation et partager des pratiques utiles entre elles et eux.

    Deuxièmement, des événements d'auto-organisation ont été organisés, offrant aux participant·e·s des occasions de formuler leurs aspirations et de trouver des collaborateur·ice·s avec lesquel·le·s démarrer ces petits groupes. Entre début 2020 et juillet 2022, 11 événements en ligne utilisant la technique du « forum ouvert » ont été organisés dans le DAF par des bénévoles - venant en particulier de l'équipe d'action collaborative - avec le soutien de l'équipe centrale. Certains de ces événements (comme le Strategy Options Dialogue de 2020) étaient principalement des moments où les participant·e·s au DAF pouvaient exprimer leurs souhaits concernant l'avenir du réseau (voir Annexe 5.4), mais ils ont également aidé de nouveaux groupes de travail et cercles à se former (comme le cercle D&D). D'autres ont été purement consacrés à la formation de nouvelles équipes. Ces événements ont attiré des inscriptions de plus de 300 participant·e·s, dont beaucoup n'étaient pas actif·ve·s au sein du DAF.

    2.2.2 Le DAF est-il un réseau auto-organisé ?

    Malgré les efforts mentionnés ci-dessus, il est apparu que peu de groupes auto-organisés ont réussi à maintenir leurs efforts dans le temps. En outre, les efforts visant à soutenir la création d'un plus grand nombre de cercles et d'équipes ont suscité peu d'engagement jusqu'à présent. Il est donc tentant de conclure que le DAF n'a pas réussi à devenir un réseau ou une communauté auto-organisée, c'est-à-dire un réseau ou une communauté dans lequel « un travail interdépendant complexe peut être accompli efficacement à grande échelle, et en l'absence d'autorité managériale » (Lee et Edmondson, 2017).

    Néanmoins, la recherche sur l'auto-organisation dans les réseaux sociotechniques ouverts comme le DAF montre que de tels modes d'organisation ont tendance à mettre du temps à émerger, notamment en raison du manque d'expérience de la plupart des gens dans ce domaine. À cet égard, il convient de considérer les signes encourageants qui montrent que la pratique de l'auto-organisation pourrait se répandre lentement au sein du DAF.

    [Grâce aux] nombreuses conversations [que j'ai eues au sein du DAF]... j'ai appris que notre façon de faire [au sein de l'équipe d'action collaborative] se répand au sein du DAF. Je remarque, par exemple, que les personnes menant le groupe du Business & Finance Group annoncent désormais leurs événements comme des « sessions Zoom en forum ouvert ». J'ai également entendu parler d'une utilisation plus délibérée des processus de travail en équipe, par exemple dans le groupe des facilitateur·ice·s de l'AR. Aujourd'hui, le DAF semble plus auto-organisé, plus adaptatif, et axé sur les petits collectifs.

    Le témoignage ci-dessus a été fourni par l'un des bénévoles du DAF qui, avec d'autres membres de l'équipe d'action collaborative, a joué un rôle déterminant dans la diffusion de pratiques d'auto-organisation - telles que le « teaming », c'est-à-dire le travail en petites équipes - au sein du DAF. Il souligne que la pratique consistant à permettre à des groupes émergents de se former en utilisant le format du forum ouvert a également été appliquée lors des réunions de divers groupes d'intérêt au sein du DAF. Plusieurs autres bénévoles ont indiqué qu'ils et elles avaient appris à mieux travailler en équipe depuis leur arrivée au DAF, et ont remercié leurs collègues participant·e·s pour le soutien qu'ils et elles leur ont apporté dans le démarrage de leur groupe.

    Il existe également des exemples émergents d'autres projets utiles ayant émergé de manière auto-organisée au sein du DAF. Entre septembre 2020 et septembre 2022, une évaluation complète et une évolution de l'infrastructure logicielle permettant aux groupes DAF d'exister ont été menées par un groupe de plus de deux douzaines de bénévoles et de membres de l'équipe centrale, qui ont coordonné leurs efforts de recherche, de test, et de mise en œuvre d'une manière auto-organisée. L'expertise de trois participant·e·s dans le domaine de la gestion de projet sociocratique, qui sont intervenus occasionnellement pour faciliter ces efforts, a été cruciale. Grâce à ce projet, trois nouvelles plateformes ont été introduites dans le DAF, et une plateforme existante a été retirée. Et en novembre 2022, une bénévole du DAF a aussi invité plusieurs autres personnes à prendre part aux efforts d'un collectif auto-organisé, offrant un soutien aux femmes ukrainiennes victimes d'agressions sexuelles. Son histoire montre que les liens de confiance et d'affection qu'elle avait noués au sein du DAF ont été essentiels à cette collaboration, de même que l'aisance de ses collègues volontaires à s'auto-organiser.

    Dans l'ensemble, il apparaît donc que l'auto-organisation - et les compétences qui la soutiennent - est une « graine de changement » qui a été cultivée consciemment et de manière influente au sein du DAF. Bien que le DAF n'en soit qu'aux premières étapes de l'utilisation de ces pratiques, leur diffusion est en cours, et pourrait conduire à une émergence plus complète de cercles et d'équipes à l'avenir.

    Mais dans quelle mesure cette approche de l'auto-organisation a-t-elle également fait partie du « terreau favorable », soutenant les processus d'apprentissage et de changement au sein du réseau ? A-t-elle aussi pu jouer un rôle défavorable d'une manière ou d'une autre ?

    2.2.3 Gouvernance auto-organisée et (dés)apprentissages

    Selon E. Wenger (2009), un système social peut être plus ou moins capable de stimuler l'apprentissage social. L'un des facteurs qui influencent cette capacité d'apprentissage social est la manière dont l'apprentissage lui-même est gouverné dans le système. Deux processus de gouvernance principaux peuvent être en jeu :

    • L'apprentissage peut faire l'objet d'une gouvernance active - en d'autres termes, les acteurs du système peuvent faire « un effort concerté pour qu'un système social évolue dans une direction donnée » et « rechercher l'accord et l'alignement... afin d'atteindre certains objectifs » ; en revanche,
    • on peut également laisser émerger l'apprentissage, à travers les décisions et les interactions des participant·e·s dans l'ensemble du système, dans divers espaces d'apprentissage, et faire que cet apprentissage soit diffusé par des personnes sans dépendre de processus plus centralisés ou coordonnés.

    Pour Wenger, chacun de ces deux types de gouvernance sont utiles à l'apprentissage social, et leur coexistence devrait être encouragée. Si le premier favorise la reconnaissance de l'interdépendance et la capacité d'action commune, le seconde garantit la possibilité d'idées imprévues et novatrices émergeant d'interactions locales. Par conséquent, « c'est la combinaison des deux [processus] qui peut maximiser la capacité d'apprentissage des systèmes sociaux ».

    Outre la gouvernance, Wenger souligne également le rôle des structures de responsabilité au sein des systèmes sociaux. Un espace d'apprentissage social sans leader pourrait être caractérisé par une responsabilité horizontale, puisque les participant·e·s sont, par définition, responsables les un·e·s envers les autres du fait de leur engagement dans des activités communes ; alors que la responsabilité verticale serait beaucoup plus présente, par exemple, dans une organisation reposant sur une structure décisionnelle hiérarchique - puisque les personnes « en bas de l'échelle » doivent rendre compte à d'autres personnes « en haut de l'échelle ». Tout comme les deux formes de gouvernance présentées ci-dessus, les deux formes de responsabilité peuvent être articulées finement au sein d'un système social afin de maximiser la capacité d'apprentissage social, par le biais d'une gouvernance émergente et d'une gouvernance active : la responsabilité horizontale, fondée sur la négociation et l'expressivité mutuelle, est essentielle aux espaces d'apprentissage social pour que l'engagement entre pairs soit authentique ; quant à la responsabilité verticale, fondée sur la conformité (par exemple, sous la forme de règles et d'accords convenus en commun), elle peut contribuer à faciliter les processus de gouvernance au sein d'un système social complexe.

    Wenger suggère que cela prend la forme d'« expériences d'apprentissage entrelacées ». Il s'agit d'expériences qui se déroulent dans des espaces d'apprentissage semi-autonomes, sans homogénéité forcée, mais avec des structures de soutien en place qui peuvent aider les résultats de ces expériences à se propager au-delà de leur cadre local. À cet égard, Wenger propose donc que les systèmes sociaux puissent bénéficier d'un rôle ou d'un organisme centralisé qui assurerait la gouvernance dans le but spécifique de favoriser la capacité d'apprentissage.

    Dans quelle mesure cette théorie de la gouvernance apprenante permet-elle d'expliquer la capacité d'apprentissage du DAF en tant que paysage complexe de pratiques ?

    Comme je l'ai mentionné plus haut, dès la création du DAF, l'accent a été mis sur le fait que le réseau visait à permettre l'émergence de structures de soutien par les pairs dans le cadre d'une éthique de l'AD, au lieu d'orienter les efforts collectifs vers la réalisation de certains objectifs. Cette intention était fondée sur l'impossibilité de savoir quelles pourraient être les « bonnes réponses » à la situation difficile dans laquelle se trouve le monde, cette dernière étant reconnue comme résultant d'une crise épistémologique - en d'autres termes, les visions du monde dominantes actuelles ne permettent à personne de connaître la « voie à suivre » :

    L'anticipation de l'effondrement de la société revient donc à reconnaître une crise de l'épistémologie et un effondrement des manières jusqu'ici dominantes de chercher à connaître le monde.... L'AR est avant tout un espace de dialogue qui commence par une invitation à désapprendre, à abandonner nos cartes et nos modèles du monde, et à ne pas en saisir prématurément de nouveaux. Cela peut s'avérer difficile, car l'habitude d'avoir besoin de faits, de certitudes et de bonnes réponses signifie que les gens sont souvent mal à l'aise face à l'incertitude ou au « non-savoir ». (Carr et Bendell, 2021)

    Cela permet d'expliquer l'importance accordée par l'équipe centrale à la promotion de l'auto-organisation au sein du réseau, sous la forme de groupes et de projets autonomes, plutôt qu'à mettre l'accent sur atteindre certains buts spécifiques, ou à vouloir concrétiser une vision spécifique. Cela explique également l'attention portée au développement d'autres modes de relation dans les groupes, en particulier au sein de la communauté de pratique des facilitateur·ice·s de l'AR, afin de permettre à un plus grand nombre de participant·e·s d'accepter l'incertitude et la sensation d'être en « terrain inconnu » (maplessness).

    Au sujet de la gouvernance du DAF, il est nécessaire d'aborder le rôle de l'équipe centrale (EC) du DAF, dont j'ai fait partie depuis la création du réseau et jusqu'au moment où j'écris ces lignes. Dans les documents officiels, le rôle de l'EC a été défini comme consistant principalement à soutenir « les objectifs, l'éthique et les politiques du DAF » ainsi que « d'autres domaines de travail et priorités émergents » - plutôt que de fixer des objectifs stratégiques. Au cours de la première année d'activité du réseau, l'EC s'est fortement appuyée sur la gouvernance active pour poursuivre certains objectifs stratégiques, décidés sans grande consultation des autres participant·e·s, bien qu'un retour d'information ait été sollicité sur les documents définissant ces objectifs. Mais progressivement, l'EC en est venue à ne plus formuler que des recommandations concernant des domaines d'action centraux, sur la base des résultats de vastes processus de consultation communautaire organisés chaque année (tels que le Strategy Options Dialogue en 2020).

    L'EC a donc modifié son rôle, passant d'une gouvernance active à une gouvernance émergente. Elle a également favorisé la responsabilisation horizontale à travers le réseau, en encourageant la création d'équipes et de groupes auto-organisés. Mais l'EC n'a pas renoncé à tous les processus de responsabilité verticale : par exemple, elle a soutenu un processus participatif menant à la cocréation, en mars 2021, de la première version de la Charte du DAF, qui est elle-même un exemple de responsabilisation verticale, parmi d'autres documents structurants du réseau - telles que la Directive de sécurité et de bien-être.

    Dans l'ensemble, l'EC a-t-elle réussi à favoriser la capacité d'apprentissage au sein du DAF, en agissant en tant qu'organe centralisé assurant la gouvernance tout en permettant l'émergence d'« expériences d'apprentissage entrelacées » ?

    Sur le plan formel, l'EC a indéniablement soutenu certains des processus transversaux (qui recoupent les dimensions de la gouvernance et de la responsabilité) qui, selon Wenger, sont essentiels pour maximiser la capacité d'apprentissage - notamment la création d'espaces d'apprentissage social autonomes et de communautés de pratique, tels que le cercle D&D et d'autres groupes. Un autre exemple pourrait être la reconnaissance publique de l'apprentissage citoyen exercé par les bénévoles du DAF à travers les activités du Mois de la gratitude en août 2022, et la publication d'une page « Remerciements » sur le site web du DAF, listant les noms des contributeur·ice·s qui souhaitaient se voir mentionné·e·s. L'EC a également apporté son soutien à deux éditions du Conscious Learning Festival, organisé par l'équipe de recherche que j'ai initiée au sein du DAF.

    Dans la pratique, cependant, il convient de noter qu'à l'heure où j'écris ces lignes, peu de groupes auto-organisés ont réussi à se réunir régulièrement au fil du temps. Dans une certaine mesure, cela peut être dû au manque de familiarité, de la part de nombreux·ses participant·e·s au DAF, avec l'état d'esprit relationnel et les formes de leadership qui sont promus dans le DAF:

    Pour les personnes qui ont travaillé toute leur vie exclusivement dans des organisations hiérarchiques, le passage à une mentalité de réseau peut prendre un certain temps, étant donné qu'il s'oppose aux hypothèses occidentales selon lesquelles le changement se produit par le biais d'une planification et d'un contrôle délibérés. ... Le leadership hiérarchique est directif et consolide le contrôle. Le leadership en réseau est facilitateur, il crée des liens entre les autres et décentralise le pouvoir de telle sorte que les gens peuvent s'organiser sans chef de file. (Ehrlichman, 2021, pp. 38-39)

    De nouvelles pratiques pourraient être adoptées au sein du DAF pour mieux soutenir les initiatives émergentes et catalyser de nouveaux apprentissages - par exemple, la mise en place d'un fonds d'innovation, c'est-à-dire une « petite réserve d'argent qui fournit des fonds d'amorçage ou des fonds d'incitation pour encourager l'auto-organisation et la collaboration » (Holley, 2013), ou l'initiation d'événements conjoints et de partenariats avec des réseaux et des organisations alignés. De telles pratiques nécessiteraient probablement des sources de financement plus solides que celles disponibles au moment de cette recherche.

    Il convient également de souligner que plusieurs personnes ont également rencontré des problèmes en travaillant directement avec les membres de l'EC et/ou le fondateur du DAF, Jem Bendell, ce qui les a empêchées de s'engager plus avant dans le réseau. Par conséquent, les personnes assumant des rôles de leadership au sein du DAF ont parfois joué un rôle handicapant dans l'apprentissage d'autres personnes.

    Plus fondamentalement peut-être, la perception que le DAF ne donne aux gens « aucun appel à l'action » et que le réseau est trop « philosophique » et « ouvert » a été une critique récurrente. En s'appuyant sur la théorie de Wenger décrite ci-dessus, ces critiques peuvent être interprétées comme des appels à une gouvernance plus active : en effet, pour de nombreux·ses participant·e·s au DAF, la mission du réseau, qui consiste à « permettre et incarner des réponses aimantes à l'effondrement », nécessite davantage d'alignement et de coordination afin de mettre en place des initiatives plus pratiques, sur le terrain, susceptibles de réduire les impacts sociaux, politiques et écologiques de l'effondrement. Peut-être ces déclarations ont-elles également exprimé le désir d'accorder plus d'attention à la « préparation à l'effondrement », par rapport à l'accent mis sur la « transcendance de l'effondrement », qui est devenu plus central dans le réseau depuis sa création, comme l'illustre l'attention portée au « travail intérieur » et à la culture des processus relationnels.

    Enfin, d'un point de vue purement pragmatique, il se peut que le modèle de gouvernance du DAF, caractérisé par l'accent mis sur l'émergence, s'avère non viable, en raison de la difficulté d'obtenir un financement pour des efforts impliquant des modes d'organisation relationnels (par opposition à des modes transactionnels), dont les résultats sont impossibles à prévoir - une difficulté reconnue par d'autres praticiens (tels que David Jay, ou le collectif Starter Culture).

    À cet égard, il se peut que les systèmes de gouvernance qui sont distribués mais qui conservent davantage d'éléments de responsabilité verticale et de concentration du pouvoir de décision soient plus rassurants pour les bailleurs de fonds.

    Récapitulons...

    Dans ce résumé (plutôt volumineux !), nous avons vu que, selon les participant·e·s à la recherche, le DAF avait joué un rôle important en les aidant à vivre avec les émotions difficiles provoquées par leur prise de conscience de la situation difficile de la planète ; et qu'un paradigme relationnel était cultivé dans diverses parties du paysage de la pratique du DAF, permettant à de nombreux·ses participant·e·s de trouver des expériences profondes d'apprentissage social en cours de réalisation. Ces pratiques ont montré qu'elles pouvaient favoriser des transformations durables de la vision du monde vers des formes élargies de conscience sociale et écologique en tant que forme de changement collectif radical, bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour confirmer cet aspect.

    Au niveau organisationnel, certains signes montrent qu'un nombre croissant de participant·e·s actifs au DAF maîtrisent de mieux en mieux la gouvernance émergente promue dans le réseau, grâce à des pratiques d'auto-organisation encadrées et diffusées dans le réseau. Toutefois, l'auto-organisation n'a pas encore atteint son plein potentiel dans le DAF. Plus important encore, il est apparu que le choix, de la part de l'équipe centrale, de ne pas promouvoir davantage de directionnalité (ou de gouvernance) dans le réseau a été vécu comme une source de désorientation par de nombreuses personnes, en particulier en ce qui concerne l'accent mis sur le travail intérieur et l'établissement de relations. Bien que cette gouvernance reflète l'aspect préfiguratif du DAF, elle peut être d'autant plus troublante pour les participant·e·s qui ont davantage l'intention de mettre en œuvre des changements pratiques ou politiques, et qui regrettent l'absence d'orientation concrète à cet égard. De même, cette orientation relationnelle et intérieure a rendu plus difficile l'autofinancement du réseau.

    Il est temps d'aborder une question épineuse : celle de la pertinence du DAF pour le changement sociopolitique ! Dans le prochain résumé, qui conclura cette série de résumés de mes recherches sur le DAF, j'examinerai cette question en utilisant une perspective différente de celle que nous avons adoptée jusqu'à présent : une approche décoloniale.