1. Introduction : Plantons le décor
  2. Outils d'émancipation ou d'aliénation ?
  3. Mon approche de la recherche
  4. Apprendre de nos échecs : Les leçons de FairCoop
  5. Introduction au Deep Adaptation Forum (DAF)
  6. Le Diversity & Decolonising Circle
  7. L'équipe de recherche
  8. Le paysage du DAF : Cultiver la relationnalité
  9. Considérer le DAF d'un point de vue décolonial
  10. Le changement collectif radical

DAF : Le cercle de la diversité et de la décolonisation

(un résumé)

Dans ce résumé, je présenterai un résumé du processus d'évaluation de l'apprentissage social qui a été mené au sein du Cercle de la diversité et de la décolonisation (Diversity and Decolonising Circle, ou D&D) du Deep Adaptation Forum (DAF). Ce processus a été mené par l'équipe de recherche composée de Wendy Freeman et de moi-même, et a impliqué principalement les personnes qui faisaient partie de ce cercle entre avril et décembre 2022. Pour des raisons de longueur, cette analyse n'est pas discutée en détail dans le corps de ma thèse. Cependant, elle est présentée dans son intégralité dans l'Annexe 5.3.

(Voir le résumé précédent pour une introduction au DAF, et pour plus de détails sur la théorie de l'apprentissage social qui a été utilisée.)

Dans ce qui suit, je commence par présenter l'espace d'apprentissage social concerné. Je mentionne ensuite les aspirations exprimées par ses participant·e·s, avant de présenter un résumé des résultats de l'évaluation, y compris les données relatives aux effets et aux contributions. Je conclus ce résumé par une discussion critique de ces résultats.

EN BREF

  • Le cercle D&D constituait un espace d'apprentissage social et une communauté de pratique auto-organisés, dont l'objectif était de sensibiliser et d'agir sur des sujets d'oppression systémique au sein du DAF. Il organisait des activités tournées vers l'extérieur, ainsi que des processus de groupe pour ses membres.
  • Grâce à ces activités, les participant·e·s du DAF - en particulier les membres du D&D - ont acquis une plus grande conscience et de meilleures compétences en ce qui concerne les questions d'injustice systémique, et la manière de s'y attaquer. Le cercle a contribué à favoriser l'action sur des questions de justice sociale, au sein du DAF (dans une mesure limitée) et dans la vie des participant·e·s. Les participant·e·s au cercle ont également beaucoup appris sur les conflits et la transformation des conflits... et tous·tes ont également estimé qu'ils et elles avaient connu de profonds changements personnels en conséquence.
  • Ces changements ont été soutenus par : la culture de groupe encouragée dans le cercle (centrée sur les relations, la confiance et l'attention mutuelle, et caractérisée par la présence de facilitateur·ice·s clés) ; par des processus et des espaces pour un (dés)apprentissage approfondi (à la fois durant des événements publics, et dans des temps réguliers pour les membres du cercle) ; et par un soutien organisationnel externe.
  • Important, le leadership au sein du groupe est resté distribué et a pris des formes diverses.
  • Les changements observables les plus profonds apportés par le cercle semblaient concerner les membres du cercle eux- et elles-mêmes. Des efforts futurs pourraient envisager des voies de changement de pratiques dans l'ensemble du réseau, par le biais de l'établissement de systèmes appropriés (system convening).
  • De tels efforts devraient toujours être accompagnés d'autant d'autoréflexivité que possible ; et d'une plus grande implication dans le travail politique réel, par exemple afin de réparer les préjudices historiques, et/ou une implication dans des pratiques de solidarité décoloniale.

1. L'espace d'apprentissage social

Histoire et pratique

Le Cercle de la diversité et de la décolonisation (D&D) a été officiellement lancé au sein du DAF en août 2020. Il est le fruit de plusieurs conversations et interactions, dont la première a eu lieu lors du « Strategy Options Dialogue » (de février à avril 2020), un processus stratégique consultatif initié par l'équipe centrale du DAF et piloté par des bénévoles. Ce cercle a été lancé avec le mandat suivant, tel qu'articulé dans la première version de son énoncé de mission:

« trouver des moyens de réfléchir et d'aborder les principales formes de séparation et d'oppression qui caractérisent nos sociétés industrielles modernes - y compris, sans ordre particulier : Le patriarcat, la suprématie blanche, et la désacralisation de la nature en général - car nous les transportons inévitablement avec nous dans le mouvement et les espaces de l'Adaptation radicale. »

Dans le cadre de cette mission, le travail du cercle, depuis sa création, s'est concentré sur la recherche de moyens de rendre les espaces du DAF plus sûrs pour tout le monde, en particulier pour les personnes s'identifiant comme noires, autochtones, et de couleur, et donc sur l'initiation de conversations plus approfondies visant à écouter, apprendre et se solidariser avec les personnes racisées (BIPOC). Néanmoins, D&D vise également à aborder d'autres aspects, par exemple les questions de discrimination sexuelle et de genre, le capacitisme, etc.

A l'instar de plusieurs bénévoles et membres de l'équipe centrale, j'ai été activement impliqué en tant que bénévole dans ce cercle depuis sa création, et j'ai participé aux premières conversations qui l'ont fait naître.

Depuis sa création, le cercle a organisé deux formations sur la lutte contre le racisme, ainsi que plusieurs ateliers sur des sujets liés à la discrimination raciale et culturelle, aux perspectives autochtones, etc. Ces activités étaient principalement destinées à l'ensemble des participant·e·s au DAF, mais des invitations ont également été adressées à des membres d'autres réseaux, et des partenariats ont été établis pour plusieurs de ces activités. Les membres individuels du cercle ont également organisé d'autres activités éducatives sur des sujets similaires, au sein du DAF et ailleurs, avec divers degrés de soutien et de collaboration avec les autres membres.

Outre ces activités « tournées vers l'extérieur », les membres du D&D se sont également engagé·e·s dans un processus continu d'apprentissage et de soutien mutuels, ainsi que d'auto-éducation. Peu après la création du cercle, nous avons lancé une série de « cercles d'apprentissage » mensuels afin de partager nos connaissances, nos expériences et nos ressources. Nous avons également mis en place d'autres pratiques visant à rendre notre propre apprentissage plus visible, comme le fait de commencer chacune de nos réunions hebdomadaires par un examen de nos « réussites » personnelles ou collectives (voir ci-dessous).

Il nous est progressivement apparu que, malgré les nombreux revers et les moments difficiles que nous avons vécus, notre implication continue dans le travail de ce cercle avait été une source d'enseignements importants, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif. Nous avons donc commencé à documenter certains de nos (dés)apprentissages, par le biais d'articles de blog, de wébinaires, d'enregistrements vidéo, et une lettre d'information trimestrielle éditée par Malika Virah-Sawmy.

J'ai le sentiment que ma participation à D&D a été l'occasion de changements personnels très profonds pour moi (voir l'Annexe 5.2, Histoire #5, ainsi que le Chapitre 6). J'ai donc invité mes collègues membres du cercle à se joindre à moi pour articuler certaines de nos expériences d'apprentissage, d'erreurs, de chagrins, de conflits et d'entraide.

Un espace d'apprentissage social ?

Dans le résumé précédent, j'ai évoqué l'idée d'espaces d'apprentissage social, faisant référence à une expérience ou à un contexte social informel qui peut émerger lorsque des personnes se réunissent parce qu'elles souhaitent faire une différence dans leur vie, pour les autres ou pour le monde en général ; lorsqu'ils et elles participent à cet espace à partir d'un lieu d'incertitude (et non en tant que personnes dictant aux autres ce qu'il faut faire) ; et lorsqu'ils et elles prêtent attention aux réponses et aux retours à tout ce qui est dit ou fait, afin de mieux accomplir ce qu'ils et elles essaient de faire.

Je crois que le cercle D&D a commencé comme un espace d'apprentissage social. Nous, les cofondateur·ice·s du cercle, nous sommes réuni·e·s de notre propre chef, poussés par nos désirs respectifs de créer une différence au sein du DAF. Nous étions désireux·ses d'apprendre et d'explorer ensemble ce que les questions de diversité et de décolonisation pouvaient signifier au sein du DAF.

Cependant, grâce à nos activités et à notre engagement soutenus, un régime de compétence particulier a émergé de notre apprentissage – c'est-à-dire un ensemble de critères et d'attentes (souvent tacites) définissant les conditions d'une appartenance compétente au groupe. Par exemple, la prise de conscience de l'omniprésence du racisme systémique dans la société constituerait un élément clé du répertoire de pratiques constitutif de ce régime de compétence. De plus, cet engagement prolongé les un·e·s envers les autres – et avec d'autres parties intéressées au-delà du cercle lui-même – a conduit à des relations solides et à un sentiment d'appartenance et d'identification à notre groupe, comme l'indiquent nos histoires.

Cela m'amène à penser qu'à partir de notre espace d'apprentissage social et de nos activités, une communauté de pratique (CdP) a également pris forme - c'est-à-dire « un partenariat d'apprentissage soutenu entre des personnes qui partagent une préoccupation ou une passion pour quelque chose qu'elles font, et qui apprennent à mieux le faire au fur et à mesure qu'elles interagissent régulièrement. » Cette CdP peut être considérée comme impliquant des personnes au-delà de notre cercle immédiat, en particulier les participant·e·s régulier·e·s à nos appels ouverts mensuels, qui ont co-défini le régime de compétence avec nous. Mais ce répertoire émergent n'a pas empêché les membres du cercle de continuer à s'engager les un·e·s avec les autres, à travailler sur des questions difficiles, et à repousser les limites de notre pratique. Par exemple, après avoir été confronté·e·s à des conflits au sein de notre groupe, nous avons laissé notre répertoire évoluer - par exemple, en introduisant des « moments de points chauds » (hot spots rounds) lors de nos appels réguliers, au cours desquelles nous pouvions parler librement de sujets inconfortables ou de tensions entre nous. Ainsi, nos appels réguliers ont continué à fonctionner comme un espace d'apprentissage social actif.

Pourquoi est-ce important ? Parce qu'une hypothèse émergente pour moi est que lorsqu'un groupe parvient à la fois à consolider un régime de compétence (qui apporte un sentiment d'appartenance et d'engagement), ET à continuer à remettre en question ce que ses participant·e·s considèrent comme acquis, à s'aventurer hors de la zone de confort collectif, alors ce groupe pourrait être un terrain particulièrement fertile pour que l'apprentissage social puisse se déployer.

2. Quelles étaient nos intentions ?

Comment avons-nous, en tant que membres du cercle D&D, compris l'objectif du cercle ? Cette question peut sembler étrange, compte tenu de ce que j'ai déjà dit plus haut au sujet de la mission de notre cercle.

Pour moi, notre énoncé de mission original avait principalement trait à la création d'un changement au sein du DAF, d'un point de vue stratégique, organisationnel et culturel : nous voulions aborder des sujets tels que le patriarcat, la suprématie blanche et la désacralisation de la nature. Cependant, j'ai compris que la poursuite de ce changement devait aussi impliquer le développement d'une conscience critique de soi parmi nous, et donc la création d'espaces d'apprentissage mutuel sur ces sujets difficiles – pour que nous soyons en mesure d'apporter de nouvelles idées dans nos autres domaines respectifs d'engagement personnel, politique et professionnel.

Nous avons peu à peu découvert que nous ne partagions pas tous·tes ce point de vue. Les discussions sur ce sujet nous ont amené·e·s à rédiger une déclaration, actualisée environ deux ans après nos débuts, dans laquelle nous accordons la même importance à ces deux questions:

  • « Sommes-nous en train de provoquer un changement génératif pour les autres (en particulier les personnes racisées) ? » et
  • « Sommes-nous, nous-mêmes, en train de changer de manière générative ? »

Examinons comment nous avons répondu à ces questions.

3. Graines de changement

Quelles ont été les principales « graines de changement » que nous, dans le cercle D&D, avons essayé de cultiver, en ce qui concerne les intentions ci-dessus ? Et dans quelle mesure avons-nous réussi à le faire ?

Une meilleure prise de conscience et compétence autour des questions d'injustice systémique

Afin de faciliter les changements génératifs en nous-mêmes et chez les autres, le cercle D&D a accordé une attention particulière à l'émergence et à la transmission d'idées et de ressources pertinentes dans son domaine de travail. Cela a été le cas à la fois au sein du cercle et au-delà.

Au sein du D&D

L'approfondissement de notre prise de conscience et de nos compétences a été facilitée par des moments réguliers consacrés au partage d'idées et d'expériences personnelles, et à l'engagement dans une réflexion collective. En particulier, depuis octobre 2020, nous avons initié des cercles d'apprentissage mensuels, au cours desquels nous avons discuté de nos idées, expériences et découvertes personnelles ; et à partir de février 2021, nous avons commencé à ouvrir chaque appel par un bref tour de « partage des réussites » - se référant à tout exemple de changement positif dans nos vies ou au-delà, en particulier en référence à la mission de notre cercle. Plus tard, nous avons inclus la possibilité de discuter également au cours de ce tour « d'études de cas », basées sur notre expérience personnelle, afin de faire de la place pour la considération des échecs génératifs.

Parfois, ces moments de partage ont également été l'occasion de commenter les idées et les informations reçues dans d'autres espaces (par exemple, des cours et des ateliers), ou de se tenir au courant de certains défis et difficultés.

Ces conversations riches et ces récits, ainsi que diverses autres activités entreprises dans le cadre de notre participation au cercle, nous ont aidé à développer de nouvelles compétences et capacités, ainsi que de nouvelles formes de compréhension. Cela inclut une compréhension plus fine de notre pratique, un nouveau langage, ainsi qu'une conscience plus fine de soi et du monde.

« Je ne ressens plus le besoin de débattre du fait que je sois raciste ou non. Avant le cercle, je voulais défendre, revendiquer ou au moins penser que je n'étais peut-être pas raciste – ou pas trop, ou pas délibérément – mais depuis, par nos activités, notamment avec la formation (de lutte contre le racisme), j'ai réalisé, au cours de notre travail ensemble, que je n'ai plus besoin de débattre du fait que je sois raciste ou non – cela permet de nouvelles possibilités de dialogue. »

En outre, la participation au cercle nous a amené·e·s à concevoir certaines méthodes et certains processus pour soutenir notre apprentissage (par exemple, le partage des succès), et à cocréer un certain nombre d'artefacts diffusés publiquement qui reflètent notre apprentissage et nos intentions - comme notre liste d'Accords, ainsi que nos blogs et vidéos.

Au-delà du D&D

Le cercle D&D a organisé plusieurs ateliers éducatifs et sessions de formation, impliquant des participant·e·s du DAF et au-delà, dans l'espoir d'accroître la sensibilisation autour des questions d'oppression systémique – et donc, de rendre le DAF plus sûr pour les participant·e·s issus de groupes sociaux marginalisés.

Deux sources principales de données permettent d'évaluer l'impact de ces activités :

  • Les réponses aux questionnaires anonymes de retour d'information après les activités de recherche et de développement ; et
  • Les retours informels des parties prenantes affectées par les activités du D&D, transmis aux membres du cercle.

Tout d'abord, il apparaît que le travail du cercle a été une source d'inconfort non génératrice pour certaines parties prenantes au DAF. J'entends par là un inconfort qui ne semble pas avoir entraîné de changements utiles pour ou chez qui que ce soit. Par exemple, lors des entretiens réalisés dans le cadre de ce projet, deux ancien·ne·s participant·e·s au DAF ont indiqué qu'ils·elles avaient choisi de ne plus participer activement au réseau, en partie à cause de leur inconfort face au discours du cercle D&D en ce qui concerne les thèmes du racisme et du colonialisme. Tous·tes deux considéraient que ce cadre ne correspondait pas à leur contexte culturel respectif.

Cela étant, les réactions aux ateliers et aux sessions de formation de D&D ont été largement positives. Il est intéressant de noter que si de nombreux témoignages font état d'un certain malaise lorsque les participant·e·s s'éveillent à des vérités difficiles concernant leur propre racisme et leurs privilèges, ils contiennent également des déclarations montrant que ces mêmes participant·e·s ont rencontré de nouvelles façons de penser et d'être, qu'ils et elles ont été amené·e·s à reconnaître leurs privilèges et leur racisme, et à se connecter émotionnellement à l'impact des formes systémiques d'oppression sur d'autres personnes. Cet « inconfort génératif » a également été un compagnon constant pour les membres du cercle D&D.

« J'ai appris à quel point ce fardeau est lourd pour les personnes racisées, et à quel point j'ai justifié cela tout au long de ma vie. J'ai appris qu'il n'est pas acceptable de se dire "progressiste" et de ne pas se concentrer sur le racisme. » - Témoignage suite à la formation Dismantling Racim (Nov.2021)

Outre les ateliers et les formations, le cercle D&D a également organisé des discussions ouvertes au sein du DAF, dans le but d'établir un cercle informel de soutiens et de facilitateur·ice·s pour nos activités. Ces appels mensuels ont été régulièrement suivis par un nombre constant de participant·e·s exprimant un vif intérêt pour le travail de notre cercle. Bien que les réactions informelles à ces appels aient été très positives, des problèmes sont également apparus au cours de ces réunions, ce qui nous a amenés à revoir leur portée et leur objectif.

Il y a également des preuves anecdotiques que les activités du cercle D&D ont pu aider les participant·e·s au réseau à devenir plus compétent·e·s en ce qui concerne nos centres d'intérêt, et que d'autres peuvent aider à répandre cette prise de conscience en conséquence. Par exemple, après avoir participé à des ateliers D&D, au moins deux participant·e·s au DAF ont écrit des articles de blog documentant leur apprentissage et les ont largement partagés dans le DAF. Et en 2022, grâce à un processus impliquant des membres de l'équipe centrale et plusieurs volontaires du DAF (y compris du cercle D&D), plusieurs nouvelles pages sont apparues sur le site web du DAF pour attirer davantage l'attention sur les voix invisibilisées au sein du domaine de la collapsologie ; à la nécessité de mettre en oeuvre davantage de solidarité internationale au sein du réseau ; et à faire face aux réponses autoritaires à la situation difficile dans laquelle se trouve le monde. La page principale du site elle-même a été réécrite dans cette perspective.

Malgré ces signes encourageants, il est difficile d'évaluer dans quelle mesure les activités d'éducation et de sensibilisation de D&D ont pu contribuer à rendre les espaces du DAF plus sûrs pour les représentant·e·s des groupes marginalisés. En effet, il n'existe pas de statistiques suffisamment fines sur les membres du DAF qui permettraient d'évaluer si le nombre de participant·e·s racisées, par exemple, a pu augmenter en proportion au fil du temps. Au niveau du leadership du réseau, les représentant·e·s des groupes sociaux marginalisés ne semblaient pas plus présent·e·s - au moment de l'analyse - qu'ils et elles ne l'étaient en août 2020.

Enfin, au-delà du DAF lui-même, les membres du cercle D&D ont également intégré la pratique et la conscience développées au sein du cercle dans leur vie personnelle et professionnelle – par exemple, en créant et en partageant des ressources et des informations pertinentes. Il semble que nous ayons également créé un changement génératif autour de nous de cette manière, malgré l'inconfort et les tensions qui en ont résulté.

Encourager à l'action dans le domaine de la justice sociale

Parce que le cercle D&D visait à « s'attaquer aux principales formes de séparation et d'oppression qui caractérisent nos sociétés industrielles modernes », l'action dans ce domaine était une autre graine importante de changement à considérer.

Pour les membres du cercle, cette action a principalement pris la forme des activités mentionnées ci-dessus – c'est-à-dire des ateliers éducatifs et le partage d'informations, au sein du DAF, mais aussi au-delà. Par exemple, deux d'entre nous ont co-organisé une formation antiraciste au sein d'une organisation environnementale britannique, ce qui a conduit à la création d'un cercle d'apprentissage régulier par les participant·e·s à la formation ; deux d'entre nous ont co-organisé un événement au sein du DAF pour tenter de collecter des fonds pour une organisation de solidarité au niveau local dans un pays du Sud ; et l'une d'entre nous est devenu un animateur d'ateliers réguliers au sein d'une organisation axée sur la justice sociale.

En ce qui concerne les parties prenantes au-delà du cercle, nous ne disposons que de peu d'informations sur les formes d'action qu'elles ont pu entreprendre à la suite des activités de ce cercle. Il est encourageant de constater que, dans leurs réponses aux questionnaires envoyés à la suite des ateliers D&D, plusieurs personnes ont exprimé le souhait d'explorer diverses voies de changement génératif à la suite de leur participation, notamment en modifiant leurs pratiques actuelles ou en lançant de nouvelles activités et de nouveaux projets.

Je suis très reconnaissante car la formation m'a ouvert de nombreuses portes concrètes et pertinentes pour avancer dans mon travail de démantèlement du racisme, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Par exemple, je travaille avec des demandeur·se·s d'asile et même si je ne crois pas que je réagisse différemment aux demandeur·se·s d'asile BIPOC qu'aux demandeur·se·s blanc·he·s, c'est maintenant un domaine à explorer pour moi 

.

Un certain nombre de personnes interrogées ont également mentionné leur souhait d'expérimenter de nouvelles pratiques, de prendre davantage conscience des thèmes du racisme et des privilèges, et d'approfondir le travail antiraciste dans le contexte du DAF.

Cependant, il n'a pas été possible de déterminer dans quelle mesure ces aspirations ont été mises en pratique. Il est décevant de constater que plus d'un an après le lancement du cercle D&D, il nous était toujours difficile de trouver plus d'une demi-douzaine de participant·e·s au DAF prêts à s'engager financièrement et en temps pour participer à un atelier sur la lutte contre le racisme, ou pour soutenir une campagne de collecte de fonds au niveau local dans les pays du Sud. Cela pourrait bien indiquer un échec du cercle en ce qui concerne cette « graine de changement » en particulier.

Volonté de s'engager dans les conflits et la transformation des conflits

La gestion des conflits est une graine de changement que le cercle D&D a dû nourrir par nécessité. En effet, les tensions et les conflits étaient des sujets de conversation récurrents dans notre cercle.

Compte tenu du caractère souvent sensible des sujets explorés par le cercle, et de leur instrumentalisation dans le cadre des « guerres culturelles » actuelles, nous nous attendions à ce que des tensions émergent entre le cercle et d'autres parties prenantes du DAF. C'est notamment ce qui s'est produit à l'approche du premier événement organisé par le cercle, en novembre 2020.

Cependant, les formes de conflit les plus difficiles sont apparues entre les membres du cercle, à plusieurs reprises. Tout d'abord, entre trois d'entre nous, dont une personne s'identifiant comme une personne de couleur. Ce conflit prolongé a conduit cette personne à cesser de faire partie à la fois du cercle D&D et de l'équipe centrale (Core Team) du DAF. À la suite de ce conflit, les relations entre le cercle et deux groupes de parties prenantes externes ont également été interrompues. La réflexion collective au sein du cercle D&D et de l'équipe centrale a finalement abouti à la publication de déclarations reconnaissant la responsabilité d'erreurs préjudiciables. Toutefois, ces déclarations n'ont pas permis de rétablir les relations.

Parallèlement, des tensions sont apparues entre deux des membres restants du cercle, ce qui a entraîné le départ d'une personne. Toutefois, un processus de résolution des conflits facilité par une troisième membre du cercle a abouti à une réconciliation et au retour de la personne qui était partie. Un an plus tard, alors que des tensions réapparaissaient entre ces deux membres, un autre cycle de transformation des conflits a eu lieu et a conduit à une reconsidération fructueuse de la mission du cercle D&D.

Enfin, à différents moments, d'autres tensions sont apparues pour certain·e·s d'entre nous dans d'autres groupes dont nous faisons ou avons fait partie, et ont été discutées dans notre cercle.

Si les conflits interpersonnels ont été une source d'émotions très difficiles pour la plupart d'entre nous dans le cercle, moi y compris, ils semblent également avoir été une source d'apprentissage et de changement très riche, individuellement et collectivement, en particulier dans le processus d'exploration de la transformation des conflits au sein de notre cercle. De nombreuses idées et de nombreux changements ont émergé de notre réflexion collective sur ce sujet - voir la vidéo sur les conflits produite par le cercle D&D en avril 2022 pour plus de détails :

"Accueillez les conflits ! Ne le créez pas, mais accueillez-le, comme une occasion pour le groupe de changer. Parce que notre cercle est devenu tellement plus intime après que nous ayons traversé ce processus. Je pense que beaucoup de choses ont changé.

En effet, nos discussions nous ont amené·e·s à conclure que le fait d'être plus à l'aise avec l'expression d'opinions dissidentes, de faire face à des émotions difficiles, et de se tenir mutuellement pour responsables, était un aspect essentiel du travail que nous nous étions fixé d'accomplir.

Tout d'abord, parce que dans presque tous·tes les cas de tensions ou de conflits dont nous avons discuté dans notre cercle, ces tensions semblaient liées, au moins en partie, à nos sujets d'intérêt - c'est-à-dire la lutte contre les formes systémiques de séparation et d'oppression. C'est peut-être le signe que travailler sur de tels sujets est susceptible d'entraîner des frictions avec d'autres personnes, en particulier dans un contexte de polarisation sociale croissante.

Deuxièmement, nous avons réalisé que le fait de « se tourner vers le conflit » était en soi contre-culturel, et faisait partie intégrante de la décolonisation de nos modes d'être et de relation. À la suite de cette réflexion, nous avons écrit ce qui suit dans nos accords du cercle D&D:

Nous comprenons que l'évitement des conflits est un aspect de la culture de la suprématie blanche, et qu'il joue un rôle clé dans le maintien de diverses structures d'oppression au sein de la société. C'est pourquoi nous nous engageons à mettre l'accent sur la reconnaissance des conflits comme une opportunité de changement culturel profond, et à le faire avec tendresse et dévouement. ...
Nous reconnaissons que notre conditionnement social et culturel entraîne des comportements inconscients qui sont l'expression du racisme systémique, de la suprématie blanche, et d'autres formes d'oppression. Nous nous engageons à identifier ces schémas chez nous et chez les autres, et nous nous engageons à inviter et à fournir un retour les un·e·s aux autres lorsque ces schémas émergent, dans un esprit d'apprentissage.

Nous avons également créé un espace plus intentionnel pour l'expression de l'inconfort et des émotions difficiles lors de nos appels réguliers.

Mon opinion est que le conflit interpersonnel, en tant qu'objet de réflexion, et en tant qu'impulsion pour des processus de groupe génératifs et une compréhension mutuelle renouvelée (lorsque nous y sommes parvenus !), a finalement été une source majeure d'apprentissage (et de désapprentissage) génératif pour le cercle D&D - bien qu'il n'ait jamais cessé d'être un défi.

Transformations personnelles

Au sein du cercle D&D, chacun·e d'entre nous a déclaré à plusieurs reprises avoir connu de profondes transformations personnelles à la suite de son engagement. Bien qu'il nous ait souvent été difficile d'identifier précisément la nature de ces changements, trois thèmes récurrents dans nos discussions sur ce sujet peuvent être des indicateurs de l'apprentissage transformateur en cours.

La première concerne le fait de se considérer soi-même et/ou le monde d'un point de vue radicalement nouveau. Certain·e·s d'entre nous, en particulier celles et ceux qui sont issu·e·s d'un milieu plus privilégié, ont expliqué que le travail effectué dans le cercle leur avait permis de prendre conscience de l'oppression systémique et du rôle qu'elles jouaient dans sa perpétuation. Pour l'une d'entre nous, cette prise de conscience a complètement modifié son idée de l'objet du travail de ce cercle.

"Et donc, pour moi, faire partie de ce cercle, et le travail que nous avons effectué en amont et en réponse à la formation antiraciste a été profondément, profondément, profondément transformateur, pour moi personnellement, parce que j'ai commencé à vraiment comprendre le racisme systémique et à quel point presque tout le monde est aveugle à ce racisme à moins d'en souffrir, à moins d'être un groupe marginalisé, à moins d'être noir ou autochtone.

L'un·e d'entre nous a également déclaré qu'il lui avait été particulièrement difficile de prendre conscience de son rôle en tant qu'auteur·ice de l'oppression. Un aspect crucial de cette prise de conscience a été de comprendre la différence entre la responsabilité personnelle et la responsabilité collective. D'autre part, plusieurs d'entre nous ont également expliqué comment le fait de s'engager dans le travail du cercle D&D nous avait permis d'acquérir une conscience plus claire et plus profonde de nos propres expériences de l'oppression (en particulier pour celles d'entre nous qui s'identifient comme des femmes), et de la manière dont cela a pu limiter notre façon d'être et d'agir dans le monde.

Un·e autre membre du cercle, s'identifiant comme une personne noire et autochtone, a déclaré avoir trouvé au sein de notre cercle, parmi les Blancs, une profondeur de sécurité et de confiance qu'elle n'avait jamais connue ailleurs. Cela lui a permis d'être plus pleinement elle-même et lui a montré qu'il est possible pour les Noirs et les Blancs de former de tels espaces ensemble. Elle a déclaré qu'il était essentiel que davantage de personnes sachent que cela était possible.

En tant que deuxième indicateur de changement transformateur, plusieurs d'entre nous ont parlé de changements importants qui ont eu lieu dans le groupe, en grande partie en raison des défis auxquels nous avons été confronté·e·s - en particulier les conflits - et de notre persévérance à surmonter ces défis, ce qui a conduit à une confiance beaucoup plus profonde (comme exprimé plus haut) et à une compréhension mutuelle entre nous. En particulier, le processus de transformation du conflit qui a réconcilié deux d'entre nous semble avoir joué un rôle très important.

Enfin, plusieurs d'entre nous ont mentionné être devenu·e·s empouvoirés (empowered) grâce à leur participation, notamment en apprenant de nouvelles façons de s'exprimer et en surmontant l'oppression qu'ils et elles avaient intériorisée.

Bien que la plupart de ces déclarations semblent mettre l'accent sur le changement interne, il est probable que certains de ces changements - en affectant nos identités et nos façons d'être dans le monde - ont également eu des ramifications externes dans les autres espaces d'apprentissage auxquels nous avons participé. En effet, dans nos appels, nous avons souvent fait référence à ces prises de conscience nous obligeant à prendre des mesures génératives en ce qui concerne les questions de justice sociale.

4. Le terreau favorable

Quel a été le terreau qui nous a aidés à cultiver ces graines de changement ?

La culture du groupe

Comme nous y avons souvent réfléchi, un facteur essentiel permettant à notre groupe de continuer, malgré la difficulté du travail que nous avons entrepris et l'ampleur des défis auxquels nous avons été confronté·e·s - en particulier en ce qui concerne les conflits - a été les relations fortes, la confiance profonde et la sécurité psychologique qui ont été cultivées dans le cercle D&D.

Cela semble avoir été rendu possible par des éléments tels que le rythme détendu et l'atmosphère ouverte et démocratique de nos appels, qui nous ont permis de continuer à y participer semaine après semaine ; les nombreuses occasions que nous avons créées pour mieux nous connaître, y compris nos contextes personnels et professionnels respectifs ; notre volonté de donner la priorité à l'attention mutuelle plutôt qu'aux résultats du projet - tout en prêtant attention à ces derniers ; l'accent mis dans notre cercle, comme ailleurs dans le DAF, sur la connexion avec nos émotions, et l'expression de notre affection et de notre gratitude mutuelles ; etc.

Un sentiment d'engagement et d'identification au groupe a émergé en conséquence, pour celles et ceux d'entre nous qui faisaient partie de D&D au moment de l'analyse. En effet, nous avons souvent souligné l'importance de notre participation régulière à nos appels en ligne, qui nous a permis d'approfondir nos relations et notre compréhension mutuelle.

La présence parmi nous d'animateur·ice·s clés (key enablers), apportant au groupe des compétences, une sagesse et des processus essentiels, était également cruciale pour fournir un cadre plus structuré permettant d'entretenir continuellement ces liens et cette atmosphère. Cependant, nous avons toujours veillé à favoriser des formes distribuées de leadership entre nous, chacun·e d'entre nous prenant parfois l'initiative de certains projets ou activités. Cela a permis à notre groupe de ne pas dépendre d'un seul leader et, par conséquent, il a pu permettre de favoriser la co-création et la responsabilité mutuelle entre nous.

Ce cadre de sécurité et de confiance a constitué la base essentielle qui nous a permis de continuer à fréquenter les espaces en ligne dans lesquels nous nous sommes réuni·e·s pour nous concentrer sur notre propre apprentissage, par exemple en transformant nos conflits ou en discutant de nos défis, difficultés et autres histoires (souvent de nature très personnelle). C'était aussi une source de confiance en soi et d'inspiration pour expérimenter de nouvelles initiatives, ou s'engager dans de nouvelles collaborations, qui ont donné lieu à des changements génératifs (et parfois douloureux) pour les autres. En d'autres termes, ce sentiment de courage nous a permis de prendre plus facilement des risques, de faire des erreurs, d'affronter des conflits, et de devenir plus tolérant·e·s face à l'incertitude.

Pour beaucoup d'entre nous, et peut-être même pour tous·tes, cet espace de confiance a eu des répercussions profondes : en soi, faire partie du cercle a été une expérience particulièrement gratifiante dans nos vies, malgré les défis auxquels nous avons été confronté·e·s. Par conséquent, je considère cette fondation de la confiance et de l'attention mutuelle comme une condition essentielle pour tout ce que nous avons fait, et même pour l'existence même du cercle D&D.

Espaces et processus pour un (dés)apprentissage profond

Une variété de pratiques (ou « rituels ») ont été utilisées au sein du cercle de D&D pour soutenir l'apprentissage social, à l'intérieur et à l'extérieur du cercle lui-même.

Réunions hebdomadaires

Une partie importante des appels de D&D, qu'il s'agisse de ceux qui ne sont suivis que par le cercle, ou des événements et ateliers plus publics, avait à voir avec le fait de reporter notre attention sur notre être tout entier, y compris nos états affectifs et somatiques. Comme cela se fait couramment dans le DAF, nous commencions nos appels par un moment de « grounding », qui est un moment de méditation collective, suivi d'un « check-in » (point météo) dans lequel chacun·e de nous exprimait à tour de rôle où il ou elle en était dans sa journée et dans sa vie, et pouvait aborder des questions personnelles telles que la santé physique ou mentale, le deuil, etc.

Nous avons tenu à faire tourner les rôles et les responsabilités dans notre cercle. Par conséquent, lors de nos réunions d'affaires hebdomadaires, après les points météo, nous négocions qui animerait, qui prendrait des notes et qui serait le ou la « vibes-watcher » (guetteur·euse d'ambiance), en prêtant attention à l'énergie de l'appel et en signalant les tensions lorsque cela était nécessaire. Cela a permis à chacun·e d'entre nous de devenir plus habile dans ces différentes tâches, et d'éviter que le fardeau ou le privilège de la facilitation ne retombe sur la même personne à chaque fois.

Le premier point à l'agenda était en général un partage au sujet des changements encourageants (ou, au contraire, difficiles) dans nos vie ou dans le monde, généralement en rapport avec les centres d'intérêt du cercle. Ce fut souvent l'occasion de discuter des résultats de nouvelles initiatives et expériences individuelles.

A la suite de notre travail sur la transformation des conflits, nous avons ensuite ouvert un espace pour une ronde de « points chauds » (hot spots), dans laquelle chacun·e était invité·e à exprimer des sentiments sous-jacents de malaise ou d'insatisfaction à l'égard du travail du cercle, ou à l'égard de toute personne du cercle, pour une exploration collective dans un esprit de compassion, de curiosité et de respect.

L'appel se poursuivait ensuite avec des éléments de l'ordre du jour sélectionnés à partir de notre document « backlog » et suggérés par les personnes présentes.

Vers la fin de notre appel, le facilitateur demandait à chacun·e « s'il restait quelque chose à dire ou à entendre. » Cela donnait une nouvelle occasion d'exprimer tout mécontentement ou toute friction non exprimés (ou, en fait, des sentiments positifs). Si nécessaire, le groupe (ou certain·e·s d'entre nous) décidait de prolonger l'appel afin d'aborder la question de manière plus approfondie. Enfin, nous terminions nos appels par une série de « check-outs » (météo de sortie), similaires aux check-ins.

Ces rituels hebdomadaires ont joué un rôle important dans la formation de la culture du groupe D&D et dans le renforcement des relations entre nous.

Autres espaces d'apprentissage

Les espaces D&D consacrés à l'apprentissage et à la réflexion comprenaient d'autres appels réguliers, tels que nos cercles d'apprentissage mensuels, et les « community calls » mensuels, ouvertes à tous·tes les participant·e·s au DAF. Dans les premiers, auxquels seuls les membres du cercle D&D assistaient, chacun·e d'entre nous partageait de nouvelles idées ou inspirations, ou des réflexions qui lui étaient venues à l'esprit récemment, pour en discuter. À l'occasion, ces cercles pouvaient également être utilisés pour entendre et traiter des défis individuels ou collectifs.

Des community calls annoncés publiquement rassemblaient avec le cercle D&D toute personne intéressée par le travail du cercle et désireuse d'y participer. Le format de ces appels a évolué au fil du temps, à mesure que le cercle tentait de trouver des moyens plus génératifs de s'engager avec d'autres parties prenantes, en particulier au sein du DAF.

Mais les espaces d'apprentissage et de partage comprenaient également divers processus collectifs ad hoc, tels que nos sessions de rétrospective stratégique, les sessions de recadrage qui ont conduit à la réécriture de notre déclaration de mission et, en particulier, nos processus de transformation des conflits. Ces derniers étaient souvent animés par différent·e·s facilitateur·ice·s, afin d'aider à résoudre les tensions et les conflits entre les membres de notre cercle.

Evénements publics

Enfin, les événements publics organisés par notre cercle permettaient à tous·tes les participant·e·s d'apprendre.

Nos discussions nous ont amené·e·s à considérer plusieurs aspects qui sont importants pour la conception d'un espace permettant à des conversations difficiles autour de l'oppression systémique d'avoir lieu, pour un apprentissage individuel et collectif maximal.

La question de la sécurité psychologique est souvent revenue au premier plan dans notre réflexion. Comme je l'ai mentionné plus haut, pour nous, dans le cercle D&D, ce sentiment d'être dans un espace « suffisamment sûr » (a safe-enough space) - et notre sentiment de confiance mutuelle - ont été essentiels pour nous permettre d'être plus présent·e·s les un·e·s envers les autres, et de nous soutenir mutuellement alors que nous travaillions sur des tensions et des difficultés considérables.

Dans le cadre d'un atelier ou d'une session de formation de courte durée, où les participant·e·s ont peu de temps pour apprendre à se connaître et développer la confiance, nous avons appris, en tant que facilitateur·ice·s d'événements, à créer un espace suffisamment sûr grâce à certaines pratiques, telles que :

  • Faire en sorte que les participant·e·s ont le sentiment de pouvoir faire ce qui est le mieux pour elles et eux, y compris de choisir le moment et la quantité d'informations personnelles sensibles à partager avec d'autres ;
  • Articuler des demandes claires sur les questions de confidentialité, à l'intérieur et à l'extérieur de l'atelier ;
  • Laisser les participant·e·s savoir exactement ce qu'ils et elles allaient aborder dès le début, pour éviter toute surprise;
  • Inviter chacun·e à voyager jusqu'à son « bord tendre », avec un pied en dehors de sa zone de confort - et à supposer que tout le monde est à son bord tendre, afin d'encourager une plus grande gentillesse mutuelle;
  • etc.

En particulier, nous avons constaté que inviter à partager des histoires d'oppression personnelle et de traumatisme nécessitait une attention particulière, en raison de la charge sous-jacente à ce sujet. S'il peut être libérateur de trouver un espace pour exprimer de telles histoires, des garanties doivent être mises en place pour susciter une attention respectueuse de la part des autres, au lieu d'une objectivation, d'expressions d'empathie, ou même d'un rejet et d'une compétition (les « Olympiades de l'oppression »). Cela s'étend au besoin de confidentialité autour de la répétition ou du commentaire sur des questions personnelles en dehors de l'espace où de tels aspects ont pu être exprimés.

Une grande partie de l'art de faciliter ces conversations difficiles semble tourner autour d'un équilibre difficile : celui d'inviter les autres à « rester à la limite de leur zone de confort » suffisamment longtemps pour que la croissance personnelle et la transformation se produisent - mais sans s'aventurer complètement en dehors de cette zone. Dans le cas contraire, il est probable que les gens se fermeront ou se détourneront de ces conversations.

Soutien organisationnel externe

Enfin, à l'occasion, le travail de ce cercle a également été rendu possible grâce à un soutien externe. En particulier, les membres de la Collaborative Action Team et de l'équipe centrale du DAF ont soutenu le cercle D&D dès le début (voir Histoires n°3 et n°4). Ce parrainage - par exemple, en soutenant le cercle pour qu'il ait sa propre page sur le site web du DAF - a aidé le cercle à gagner en légitimité. L'équipe centrale a par exemple invité de nombreux·se·s bénévoles du DAF à la formation « Démanteler le racisme » de novembre 2020. La communication et l'instauration d'un climat de confiance ont été facilitées par le fait que plusieurs membres de l'équipe centrale (dont moi-même) faisaient simultanément partie de l'équipe centrale et du cercle D&D.

D'autres soutiens externes ont été apportés par le financement fourni par divers donateurs au fonds D&D sur la plateforme DAF OpenCollective ; et par les facilitateur·ice·s de transformation des conflits, sans lesquels il est peu probable que notre cercle aurait réussi à résoudre et à apprendre autant des cas de conflit auxquels nous avons été confronté·e·s.

5. Les semeur·se·s

Quelles ont été les principales formes et caractéristiques du leadership et de l'action au sein du cercle D&D ?

Tout d'abord, lors de nos conversations de réflexion sur nos activités, nous avons remarqué qu'il était important pour nous de maintenir le leadership distribué. Comme l'a fait remarquer l'un·e d'entre nous :

"Je n'ai pas remarqué que l'un·e d'entre nous dominait. Il n'y a pas de leader unique, ce qui est magnifique, car cela laisse beaucoup d'espace pour la co-création et pour... créer à ce moment-là, en tant que groupe de personnes. Il n'y a jamais eu - à un moment ou à un autre, certain·e·s d'entre nous se sont avancé·e·s pour faire bouger les choses ou pour prendre une responsabilité. Mais je n'ai jamais eu l'impression que quelqu'un exerçait un pouvoir, une influence ou un contrôle excessifs sur le groupe ou sur ce qu'il faisait.

Cela ne veut pas dire que notre collaboration s'est toujours déroulée sans effort. Au contraire, des discussions ont émergé occasionnellement, montrant que chacun·e d'entre nous ne répondait pas toujours de la même manière à des questions telles que : « Qui fait quoi ? » et « Comment se responsabiliser mutuellement ? ». Les processus de transformation des conflits qui ont suivi nous ont permis de commencer à expérimenter de nouveaux outils peut-être nécessaires pour structurer notre collaboration, en l'absence d'une gestion hiérarchique standard ou d'autres structures de responsabilité.

Ce même processus nous a également permis de clarifier la façon dont chacun·e d'entre nous a embrassé le leadership de différentes manières. Alors que certain·e·s d'entre nous ont accordé une attention particulière au lancement et à l'organisation d'ateliers publics au sein du DAF, d'autres, disposant de moins de temps, se sont concentrés·e· sur l'intégration dans leur travail professionnel des idées qu'ils et elles avaient trouvées dans le cercle. D'autres encore prenaient sur elles et eux d'éduquer d'autres personnes du réseau par le biais de leurs interventions dans les conversations ayant lieu au sein du groupe Facebook du DAF, ou même avec les membres de leur famille par exemple.

Les informations sur les nouvelles initiatives ou les nouveaux risques pris à la suite de notre participation au groupe figuraient en bonne place dans nos récits – souvent, à côté de déclarations indiquant que de nouvelles compétences, prises de conscience ou capacités avaient été acquises dans le cercle. Il semble donc que des boucles d'apprentissage génératives se soient produites pour nous : les connaissances acquises au cours de nos conversations au sein du cercle nous ont incité·e·s à entreprendre de nouvelles activités, qui ont ensuite donné lieu à d'autres réflexions et connaissances, générant ainsi de nouvelles expériences et actions, etc.

Nos histoires ont également indiqué que la présence de « facilitateur·ice·s clés » au sein de notre groupe a également été un facteur important de modélisation de formes de leadership compatissantes, vulnérables et responsables qui se sont avérées inspirantes pour nous. Cela a été particulièrement évident lors du premier processus de transformation de conflit qui a eu lieu au sein du groupe, en 2021, à la suite de la proposition proactive d'un membre du cercle de faciliter une conversation entre les deux parties en conflit. Plusieurs d'entre nous ont souligné la valeur de ce processus pour l'ensemble du groupe. Par exemple, dans l'histoire n° 4 (cycles 21 à 28), l'une d'entre nous a déclaré que les enseignements tirés de ces conversations lui avaient permis d'avoir des conversations difficiles avec un membre de sa famille et avec un autre bénévole du DAF.

Il est également important de souligner que le cercle D&D est toujours resté assez petit – avec pas plus de 7 membres au maximum, et seulement 5 membres pendant la plus grande partie de son histoire – et que ses membres sont resté·e·s stables. A plusieurs reprises, nous avons souligné l'importance de cet aspect dans la construction de la confiance et de la sécurité psychologique. La préservation de l'intimité de cet espace nous a incité·e·s à ne pas inviter d'autres membres dans le cercle. Au lieu de cela, nous avons cherché d'autres moyens d'inviter à des collaborations au nom d'autres participant·e·s au DAF, dans l'espoir d'élargir notre impact. C'est ainsi que nous avons commencé à organiser des réunions mensuelles « ouvertes » (les « community calls ») en novembre 2021.

Cependant, bien que ces réunions aient attiré un certain nombre de participant·e·s régulier·e·s au fil du temps, au moment de l'analyse, les discussions qui se déroulaient dans ces espaces n'avaient pas encore généré de nouvelles initiatives au sein du DAF. Au-delà de ces appels, peu d'engagements avec des parties prenantes stratégiques avaient eu lieu au nom du cercle depuis sa création, à quelques exceptions près.

Dans l'ensemble, il me semble que si le cercle D&D a été lancé avec la ferme intention d'initier de manière proactive de nouvelles activités dans le DAF, dans plusieurs cas, il est apparu qu'il fallait d'abord construire une base plus solide pour la collaboration sur ces questions difficiles. Cela a conduit à consacrer beaucoup de temps aux processus de transformation des conflits, au détriment d'une participation plus active aux projets. Cependant, ces processus ont permis l'émergence d'une confiance et d'une compréhension mutuelle plus profondes au sein du cercle, et pourraient donc permettre au cercle de prendre de nombreuses autres nouvelles initiatives, en collaboration avec d'autres individus ou collectifs, dans le cadre du DAF et au-delà.

6. Et alors ?

Que pouvons-nous conclure de ce processus d'évaluation au sein du cercle D&D ? Quel est le lien avec la question de la mise en œuvre d'un changement collectif radical au sein de communautés en ligne telles que le DAF ?

Ce qui a marché, ce qui n'a pas marché, et ce qui pourrait être tenté par la suite

En ce qui concerne le double objectif du cercle - c'est-à-dire que D&D devait « apporter un changement génératif aux autres (en particulier aux personnes noires et racisées) » et que les membres de D&D eux- et elles-mêmes devaient « changer de manière générative » - il y a eu beaucoup plus de résultats observables en ce qui concerne ce dernier. Cela a été reconnu dans le nouvel énoncé de mission de D&D de juillet 2022:

Jusqu'à présent, les avantages les plus évidents [des activités du cercle D&D] semblent s'être produits au sein du groupe, individuellement et collectivement, grâce à l'apprentissage et au développement personnel que nous avons expérimentés dans ce cercle. Cependant, nous avons également apporté ces connaissances à d'autres groupes et espaces, dans ce réseau et au-delà, et il y a des signes que d'autres ont bénéficié de nos interventions conscientes ou de notre implication. Nous aspirons à rendre notre travail beaucoup plus visible et à ce qu'il s'étende plus loin.

En d'autres termes, nous, dans le cercle, pouvons identifier de nombreux domaines de changement en nous-mêmes et dans nos relations, mais beaucoup moins en termes d'espaces au-delà de notre cercle, en particulier dans le DAF en tant que communauté. Quelles pourraient être les nouvelles voies à explorer pour réaliser de telles formes de changement vers l'extérieur ?

Un domaine de la théorie et de la pratique qui peut être utile dans cette réflexion est la notion de convocation de systèmes (systems convening), développée par E. et B. Wenger-Trayner (2015). Selon ces auteurs, les rassembleur·se·s de systèmes (RS) sont des personnes qui cherchent à reconfigurer un système social, afin de créer de nouvelles configurations de personnes et d'activités, qui apporteront à terme de nouvelles capacités (d'apprentissage). Ces personnes cherchent à créer un changement durable en servant d'intermédiaire entre les différentes parties prenantes, afin d'encourager la participation de personnes ayant des intérêts et des attentes différents à de nouvelles initiatives et activités.

En organisant des événements éducatifs sur les thèmes de l'antiracisme et de la décolonisation et, dans plusieurs cas, en envoyant des invitations à des représentant·e·s de divers groupes de parties prenantes du DAF (par exemple, des modérateur·ice·s de groupes Facebook, des facilitateur·ice·s, etc.), on pourrait dire que le cercle D&D a tenté de modifier la configuration du DAF afin que ces sujets deviennent un domaine d'intérêt et d'action plus central, et d'obtenir le soutien de divers secteurs du réseau (ou du « paysage » du DAF, composé de diverses communautés de pratique telles que D&D).

Gagner le soutien pour de nouvelles configurations nécessite toutefois un travail difficile:

« La seule façon pour les organisateur·ice·s d'inciter les gens à se joindre à eux est de leur permettre de s'approprier l'initiative, de l'intégrer à leur identité et à leurs projets. Les organisateur·ice·s doivent offrir aux gens de nouvelles façons de se voir et de se vivre dans le paysage. Ils et elles ne doivent pas se contenter d'inviter les gens à participer à un projet, mais doivent les inviter à reconfigurer leur identité pour faire partie d'un paysage reconfiguré » (Wenger-Trayner & Wenger-Trayner, p.106)

Je crois que ce que D&D a essayé de faire a été d'inviter de plus en plus d'acteur·ice·s du DAF à s'identifier personnellement au travail de l'antiracisme et à un programme de décolonisation et, ce faisant, à développer un sentiment de responsabilité à l'égard de la nouvelle configuration. Selon B. et E. Wenger-Trayner (ibid.), pour parvenir à une telle reconfiguration de l'identité, il faut travailler sur les trois principaux modes d'identification qui caractérisent les systèmes sociaux :

  1. L'imagination : Les RS doivent raconter une nouvelle histoire sur le paysage, d'une manière qui puisse susciter l'adhésion. Par exemple : « Deep Adaptation est aussi une question de lutte contre le racisme et de solidarité internationale. » Les autres doivent s'identifier à cette histoire, ou au moins à une partie de celle-ci, de leur propre point de vue.
  2. L'engagement pratique : Les RS doit trouver des endroits dans le paysage où de nouvelles formes d'engagement à travers les frontières de la pratique pourraient être productives, puis « faciliter des rencontres significatives où des personnes provenant d'endroits pertinents dans le paysage peuvent négocier qui elles sont les unes pour les autres, et ce qu'elles peuvent faire ensemble » (ibid., p.107). Les activités de délimitation doivent être conçues de manière à aider les participant·e·s à « élargir leur compréhension tout en abordant les principales préoccupations actuelles dans leurs contextes existants » (p. 107). En effet, « Les activités d'apprentissage les plus réussies tendent à inciter les gens à faire quelque chose de concret en rapport avec la pratique des parties prenantes et à appeler à un engagement collectif dans la négociation de questions importantes » (ibid). Par exemple, une activité utile pourrait être un atelier au cours duquel le cercle D&D inviterait les membres de la communauté de pratique des facilitateur·ice·s du DAF à réfléchir à la décolonisation de la facilitation. Et :
  3. L'alignement : Pour que les changements de pratiques soient durables dans le temps, ils doivent impliquer un réalignement des pratiques dans l'ensemble du paysage. Pour ce faire, les RS doivent « proposer des récits aspirationnels suffisamment ambitieux pour transcender les lieux spécifiques du paysage » (p.109). Pour atteindre l'efficacité à grande échelle, les organisateur·ice·s doivent inciter chacun·e à changer sa pratique et la manière dont il ou elle s'identifie au sein du réseau – et pas seulement des parties prenantes spécifiques.

Au moment de l'analyse, le cercle D&D n'avait pas réussi à provoquer une reconfiguration aussi large de l'identification dans le DAF. Cela peut-il s'expliquer par le manque d'attention portée à certaines des dimensions ci-dessus ? Et peut-être à trop peu de co-création ?

Par exemple, le cercle a organisé des ateliers de lutte contre le racisme auxquels diverses parties prenantes du DAF ont été invitées. Ces activités constituent des activités relevant d'un travail d'engagement, permettant des rencontres au-delà des frontières de la pratique. Certaines de ces activités ont attiré beaucoup de monde. Cependant, la plupart du temps, nous avons encadré ces activités sans nous préoccuper des particularités de la pratique caractérisant les différentes parties du paysage d'où provenaient les participant·e·s. Les ateliers sur l'antiracisme, par exemple, ont été conçus “pour que les personnes Blanches comprennent mieux leur propre racisme, plutôt que pour que les animateur·ice·s mettent en œuvre l'antiracisme dans leur pratique. En d'autres termes, ces activités n'ont peut-être pas suffisamment abordé les défis et préoccupations concrets auxquels sont confrontés les divers acteur·ice·s du DAF dans leur pratique quotidienne.

Quant au récit sur la lutte contre le racisme et la décolonisation défendu par le cercle (le travail d'imagination), il n'a pas été - pour l'essentiel - co-créé avec d'autres acteurs du paysage, ce qui peut expliquer pourquoi il ne semble pas avoir gagné beaucoup de terrain : « Raconter le récit doit être une invitation à une variété d'acteurs à partager sa création » (p.106). Au moment de cette thèse, certains signes indiquaient que le cercle avait amélioré sa capacité à « affiner et répéter le récit et la répétition du récit aspirationnel » (p. 107) en s'engageant dans un processus de consultation plus large avec diverses parties prenantes sur le thème de la discussion de l'écofascisme dans le DAF.

Enfin, alors que plusieurs efforts dans le cercle ont tenté de diffuser les compétences et la sensibilisation à tous les niveaux du réseau (le travail d'alignement), le manque de participation à certains de ces efforts pourrait signifier que ces activités n'ont pas été perçues comme pertinentes pour d'autres. « L'impulsion donnée par les organisateur·ice·s en faveur de l'alignement ne supplante pas les programmes des personnes ; au contraire, elle embrasse ces programmes pour les rendre plus ambitieux, plus connectés et, en fin de compte, plus susceptibles d'être efficaces » (p. 109).). Ceci, bien sûr, met en évidence un défi fondamental dans la convocation de reconfigurations dans le domaine de l'antiracisme et de l'anti-oppression plus généralement, en particulier parmi les participant·e·s blanc·he·s : un tel travail est généralement très difficile et confrontant, à bien des égards – et il peut être difficile de le relier à des préoccupations d'efficacité - en particulier dans un contexte social (DAF) dans lequel la maîtrise de ces sujets peut ne pas être considérée comme essentielle à la pratique d'une personne.

En résumé, les initiatives de rassemblement des systèmes telles que le cercle D&D les a mises en oeuvre pourraient devoir accorder une plus grande attention au processus d'apprentissage social pour reconfigurer l'« identification avec un effort plus large et plus ambitieux avec d'autres acteurs dans le paysage et avec une efficacité à atteindre à travers les pratiques et à plusieurs niveaux d'échelle à la fois » (p.110). Cela nécessite probablement un examen plus approfondi des caractéristiques et défis actuels de la pratique dans l'ensemble du paysage, et la co-création de récits aspirationnels qui inviteraient à la création de nouvelles relations, synergies et capacités. De plus en plus de personnes devraient être invitées à s'approprier la vision et, ce faisant, à s'engager dans de nouvelles formes de participation au sein du paysage reconfiguré.

Qui a le plus bénéficié du travail du cercle ?

Il est également important de réfléchir de manière critique à ce que nous avons perçu comme l'apprentissage et le changement au sein du cercle et de chacun·e d'entre nous.

Tout d'abord, comme nous l'avons mentionné plus haut, nous avons tous·tes déclaré avoir vécu de profonds changements personnels grâce à notre participation au D&D. Mais dans quelle mesure nos récits peuvent-ils présenter une image flatteuse et rassurante du changement personnel et collectif, pour notre propre consommation et celle des autres ?

Les chercheur·se·s dans le domaine des études décoloniales, telles que Vanessa Machado de Oliveira (2021), soulignent que nous – en tant qu'individus immergés dans le contexte de la modernité-colonialité – sommes des “narrateur·ice·s peu fiables de notre propre expérience” (p.75) et que nous devons donc cultiver l'autoréflexivité et rester méfiant·e·s à l'égard de nos propres motivations et désirs inconscients, qui nous poussent à vouloir “nous sentir bien, avoir l'air bien, et aller de l'avant” (p.113). De même, selon Sharon Stein (2021, p. 491),

« On croit souvent à tort que si l'on dit que l'on fait quelque chose différemment, cela signifie qu'on le fait déjà. En réalité, malgré nos meilleures intentions, nous échouons souvent, parce que les sillons et les fossés bien creusés de notre système existant ne cessent de nous y ramener. »

Par conséquent, nous devrions être très prudent·e·s, et ne pas exagérer les changements personnels et la décolonisation que nous avons pu expérimenter en tant qu'individus.

En outre, comme nous l'avons reconnu dans la mise à jour de notre déclaration de mission ci-dessus, l'impact des activités du cercle en termes de lutte contre les formes d'injustice systémique au sein du DAF semble avoir été assez limité. Par exemple, il ne semble pas que les espaces du DAF soient devenus particulièrement plus « sûrs » pour les participant·e·s racisé·e·s, bien que le manque de données rende cette question difficile à évaluer. En outre, le cercle n'a pas tenté de s'engager directement en tant que groupe avec des représentant·e·s de communautés marginalisées depuis un épisode de conflit qui s'est déroulé au cours du premier semestre 2021.

On pourrait donc accuser le cercle d'avoir surtout été un vecteur de développement personnel pour ses membres (pour la plupart socialement privilégiés), et d'avoir trop peu travaillé sur les formes structurelles d'oppression. N'est-ce pas ce dernier type de changement qui pourrait être qualifié de « changement collectif radical » ? Il serait même possible de considérer que cela fait partie d'une stratégie performative visant à récupérer un certain degré d'innocence par rapport à l'oppression systémique – pour ainsi dire, “Si nous en parlons, c'est que nous ne sommes pas aussi impliqué·e·s !” (bien que je pense qu'une telle critique serait quelque peu injuste. Je reviendrai sur ce point dans mon résumé du chapitre 6).

En effet, comme le souligne Thompson (2003), le fait que les éducateurs blancs manifestent un intérêt quelconque pour l'antiracisme peut contribuer à les faire passer pour des « individus désintéressés, à l'esprit citoyen » (p.18). En raison de l'économie morale des cadres libéraux blancs, “la reconnaissance même de notre racisme et de nos privilèges peut être tournée à notre avantage” (p.12). Teel (2016, p. 33) est d'accord :

Si j'ignore la blancheur, je ne ressens aucun effet négatif évident ; je me sens bien dans ma peau, comme le veut le modus operandi des Blanc·he·s, et je consacre toute mon énergie à faire avancer la cause de mon moi. Si je lutte contre la blancheur, je me sens bien dans ma peau et je reçois parfois des accolades et de l'admiration de la part de personnes de couleur et de Blanc·he·s qui (aspirent à) « atteindre cet objectif », ce qui fait également avancer ma cause de mon moi.

Parce que l'étude des outils du racisme systémique peut même fournir à des personnes blanches comme moi, un étudiant en doctorat, des “moyens d'exploiter davantage [notre] privilège blanc” (Thompson, 2003, p.16), ma décision d'inclure une telle étude de cas dans cette thèse, en elle-même, pourrait être un cas particulièrement flagrant de ma propre mise en avant “de la cause de moi”!

Dans le cercle D&D, nous avons peut-être voulu nous sentir comme “de bonnes personnes blanches” (ibid, p.13) par le biais de notre développement personnel et de notre réalisation de soi dans nos espaces d'apprentissage. On pourrait arguer que c'est précisément pour cette raison que l'action politique a été reléguée au second plan dans le travail de notre cercle. Le cercle D&D étant essentiellement composé de personnes blanches, dans quelle mesure nous sommes-nous engagé·e·s dans ce travail afin d'apaiser nos sentiments de culpabilité ? Nos activités faisaient-elles vraiment partie d'une stratégie consciente visant à perturber le fonctionnement du système racial (Owen, 2016, p. 164) ? Ou bien cherchions-nous seulement à obtenir nos “bonnes médailles de Blancs” (Hayes et Juárez, 2009)?

Parce que la modernité-colonialité nous conditionne à vouloir “se sentir bien, avoir l'air bien,&rdquo ; et avoir le sentiment “d'aller de l'avant,”, nous les membres du cercle devrions considérer avec suspicion nos motivations subconscientes qui nous poussent à y participer, et exercer une autoréflexivité renouvelée. En effet, “ce risque d'agir par intérêt personnel ne peut être ni éliminé ni surmonté ; c'est un compagnon constant pour les personnes blanches qui cherchent à réaliser des pratiques antiracistes authentiques” (Owen, 2016, p.164).).

Une façon de conceptualiser le travail du cercle est celle d'aspirants “allié·e·s–, c'est-à-dire “des personnes qui œuvrent pour la justice sociale à partir de positions dominantes” (Patton et Bondi, 2015, p. 489), par exemple les Blanc·he·s qui s'engagent dans un travail antiraciste au sein d'une société raciste. De nombreux·ses chercheur·se·s ont souligné la tendance des aspirants allié·e·s à ne pas s'attaquer aux inégalités institutionnelles, et à éviter de se placer dans des relations conflictuelles avec celles et ceux qui détiennent le pouvoir, en se concentrant sur le “micro-niveau, laissant de côté les problèmes plus vastes” (ibid, p.505). Suivant le modèle développé par Edwards (2006), pour tenter de devenir des « alliés pour la justice sociale » (et dépasser le stade de simples « alliés par intérêt personnel » ou d'« alliés par altruisme »), il faudrait que le cercle D&D devienne un groupe d'alliés pour la justice sociale, soit plus profondément impliqué dans la construction de coalitions de justice sociale avec des personnes marginalisées, et dirige davantage de son attention vers les systèmes et processus oppressifs.

Par ailleurs, l'intention d'incarner une telle position d'« alliance » (allyship) n'est pas sans poser de problèmes. Comme le soulignent Kluttz, Walker et Walter (20), le mot « allié·e » peut laisser entendre que l'on a atteint un certain statut, une identité permanente, un objectif final (“Je suis un·e allié·e”). Cette étiquette, en particulier lorsqu'on se l'attribue à soi-même, peut trop facilement devenir un prétexte pour se dédouaner de toute implication dans un préjudice systémique. Ainsi, au lieu de se revendiquer comme allié·e·s, les membres du cercle pourraient choisir de s'engager consciemment dans des pratiques en résonance avec la solidarité décolonisatrice – c'est-à-dire, “une stratégie pour effectuer la décolonisation, ainsi qu'un processus pour s'y rendre” (Boudreau Morris, 2017, p. 469) qui implique à la fois la mise en œuvre d'une solidarité profonde et inconditionnelle avec les luttes indigènes, et une réflexion critique sur la manière de décoloniser l'effort de solidarité lui-même. Un aspect essentiel de cette démarche consiste à « prendre des mesures actives pour établir des relations justes, en s'engageant à nommer et à réparer les injustices matérielles, épistémiques, culturelles et politiques du présent et du passé » (Kluttz, Walker et Walter, 2020, p. 56). En effet, cette approche repose sur l'établissement de « relations positives et utiles » (ibid.) en tant qu'objectif en soi, tout en développant une tolérance pour l'inconfort et le désordre (messiness) que ce travail relationnel implique souvent. Certaines des initiatives les plus récentes prises par le cercle semblent aller dans ce sens – par exemple, le lancement d'une page sur le site web du DAF conçue pour soutenir des projets de solidarité internationale.

Cependant, lorsqu'il fait référence à la « décolonisation » (y compris dans son nom), le cercle D&D a surtout mis l'accent sur l'aspiration à « décoloniser les esprits », ce qui a exposé le cercle aux critiques des participant·e·s au DAF positionné·e·s dans un véritable contexte colonial (settler colonial context). Comme Eve Tuck et K. Wayne Yang (2012), ces personnes ont soutenu que “la décolonisation n'est pas une métaphore” : si ces auteur·ice·s reconnaissent l'importance de la culture de la conscience critique, ils mettent en garde contre le fait de « laisser la conscientisation se substituer à la tâche plus inconfortable de l'abandon d'une terre volée » (p.19). Ils considèrent qu'il s'agit là d'un « mouvement vers l'innocence » (settler move to innocence), c'est-à-dire l'un des moyens utilisés par les non-autochtones pour atténuer les conséquences historiques de la colonisation, en tentant de « réconcilier la culpabilité et la complicité des colons, et de sauver l'avenir des colons » (p. 3). Etant donné que pendant la majeure partie de son histoire jusqu'au moment de l'analyse, le cercle D&D était principalement composé de membres blancs britanniques, français, américains et sud-africains, en d'autres termes de représentant·e·s de groupes nationaux fortement impliqués dans l'histoire violente du colonialisme de peuplement, cette critique est particulièrement acerbe.

Philosophiquement, le travail du cercle s'est inspiré de travaux universitaires dans le domaine des études décoloniales qui mettent souvent l'accent sur la nécessité d'« interrompre les modèles modernes/coloniaux de savoir, de désirer, et d'être » (Stein, V. de O. Andreotti, et al., 2020, p. 5), davantage que sur les considérations de représentation, de reconnaissance et de redistribution – bien que les deux ne soient pas antithétiques. Néanmoins, cette dernière critique est un autre rappel que le cercle D&D peut envisager une implication plus profonde dans des efforts plus politiques visant à des formes de réparations pour les préjudices historiques. Pour ce faire, tout en essayant de ne pas reproduire des schémas destructeurs, il faudrait probablement commencer par cultiver des relations basées sur une solidarité décolonisante avec des groupes de personnes racisées, dans un esprit de consentement, de confiance, de responsabilité et de réciprocité (Whyte, 2020). Cela pourrait permettre au cercle dans son ensemble, et à ses participant·e·s individuel·le·s, de susciter une action extérieure plus générative dans la poursuite de sa mission et, simultanément, de permettre un apprentissage social plus approfondi en ce qui concerne ce qu'implique réellement le travail difficile de la solidarité. En effet,

L'apprentissage de la décolonisation de la solidarité n'est pas un simple processus cognitif, et ne se fait pas de manière isolée. Au contraire, c'est un processus actif, qui s'inscrit dans le cadre de l'apprentissage informel qui se produit à travers les expériences collectives d'action sociale. (Kluttz et al, 2020, p.62)


Dans le prochain résumé, j'examinerai les des graines, du terreau, et des semeur·se·s qui ont bénéficié du travail au sein de l'équipe de recherche qui a mené cette évaluation de l'apprentissage social au sein du DAF.