1. Introduction : Plantons le décor
  2. Outils d'émancipation ou d'aliénation ?
  3. Mon approche de la recherche
  4. Apprendre de nos échecs : Les leçons de FairCoop
  5. Introduction au Deep Adaptation Forum (DAF)
  6. Le Diversity & Decolonising Circle
  7. L'équipe de recherche
  8. Le paysage du DAF : Cultiver la relationnalité
  9. Considérer le DAF d'un point de vue décolonial
  10. Le changement collectif radical

Introduction : Plantons le décor

(un résumé)

Les voyages ne sont pas des serviteurs apprivoisés qui vous transportent d'un point à un autre. Les voyages sont la façon dont les choses deviennent différentes. Comment les choses, comme des traînées de poussière de fée, se touchent dans un plaisir extatique et explosent en couleurs inexprimables. Chaque point d'amarrage, chaque point banal, est une expérience de pensée, pleine de monstres et d'illusionnistes, de halos et de sphinx, d'énigmes, de casse-tête et d'étranges liaisons. Chaque vérité est un défi. Voyager, ce n'est donc pas seulement se déplacer dans l'espace et le temps, c'est être reconfiguré, c'est plier l'espace-temps, c'est révoquer le passé et se souvenir de l'avenir. C'est être changé·e. Personne n'arrive intact·e. (Bayo Akomolafe, 2017, p. 250).

Il y a quatre ans et demi, j'ai décidé d'entreprendre un programme de recherche doctorale. Cela m'a conduit à m'embarquer dans un voyage qui a profondément façonné et reconfiguré de nombreuses parties de moi-même. Il en a résulté une thèse volumineuse, que peu de gens liront!

Dans cette série de résumés, je voudrais essayer de résumer ce qui me semble être certaines des idées les plus importantes qui sont apparues au cours de ce voyage, et que les activistes et autres personnes pourraient trouver utiles. En effet, le but de cette enquête était de réfléchir à ce que je pourrais faire pour contribuer à faire face aux crises sociales et écologiques, cette situation inextricable (predicament en anglais) qui est en train d'avoir lieu à l'échelle de la planète. Mon point de départ se situait à l'intersection des domaines de l'éducation informelle, des réseaux en ligne et du changement social, mais le chemin m'a mené bien plus loin, au cœur des paysages décoloniaux.

Je commencerai par présenter un aperçu de ce qui se préparait en moi au début de mon voyage. Une description plus complète, faisant référence à une pléthore de sources académiques, se trouve dans le Chapitre 1 de ma thèse. (NB: sur ce site, le texte de ma thèse est présenté dans sa version originale anglophone. Toutes mes excuses, mais je n'aurai pas le temps ou l'énergie de traduire ces 578 pages !)

Qu'est-ce qui m'a conduit sur ce chemin ?

Mon ancien moi (ou mon plus jeune moi, selon la façon dont vous considérez la flèche du temps), lorsque j'ai obtenu mon diplôme précédent il y a une dizaine d'années, aurait probablement été assez incrédule - et peut-être même consterné - d'apprendre que je déciderais finalement de retourner dans cette institution manipulatrice, ce monopole radical (comme dirait Ivan Illich) : le système scolaire. Et ce n'était certainement pas un choix facile.

Qu'est-ce qui m'a poussé à investir une grande partie de mon temps et de mes économies dans un programme de doctorat, à mes propres frais ?

Tout d'abord, je cherchais à déterminer quel pourrait être mon rôle à jouer, face aux tendances très troublantes que je voyais se produire dans le monde.

Le chaos du monde

Il est difficile de nier que l'humanité est plongée dans une période de défis existentiels sans précédent dans l'histoire. Bien sûr, on pourrait parler de cette autre époque, il y a environ 70 000 à 80 000 ans, où l'éruption supervolcanique de ce qui est aujourd'hui le lac Toba, à Sumatra, n'aurait laissé qu'entre 1 000 et 10 000 êtres humains sur terre. Certes, la situation était plutôt difficile. Mais il y avait une différence majeure : à l'époque, notre espèce devait faire face à des circonstances défavorables (il faisait très froid) qu'elle n'avait pas provoquées elle-même. C'est une chose de s'adapter aux caprices de la nature parce qu'on se trouve au mauvais endroit, à la mauvaise époque géologique ; c'en est une autre si vous et vos congénères H. sapiens provoquez, en vous contentant de vaquer à vos occupations quotidiennes, la mort possible de tout le monde (y compris de nombreuses espèces non humaines). Dans le second cas, survivre en tant qu'espèce ne consiste pas à triompher d'un environnement hostile : il s'agit de se transcender soi-même.

Mais nous ne semblons pas vraiment sur la bonne voie pour y parvenir. Bien au contraire : les scientifiques affirment que les humains modernes sont à l'origine d'une ère d'effondrement environnemental, et même d'annihilation biologique. Cela touche à des aspects tels que :

  • Le réchauffement global : la planète pourrait atteindre +1,5°C de réchauffement d'ici 2027 par rapport au début de l'ère industrielle, et peut-être 6°C à 7°C d'ici la fin du siècle. Cinq points de basculement climatiques dangereux (sur les 16 identifiés) pourraient déjà avoir été franchis en raison du réchauffement planétaire. En fin de compte, ces points de basculement pourraient conduire au franchissement d'un point de basculement global, qui mettrait la planète sur une trajectoire de « planète étuve » véritablement catastrophique. Un réchauffement global de seulement 2°C pourrait exposer jusqu'à un quart de la population humaine à l'aridification des terres, ce qui rendrait l'agriculture pratiquement impossible.
  • Extinctions de masse : jusqu'à 58 000 espèces disparaissent chaque année ; les populations de vertébrés ont diminué de 69% entre 1970 et 2022. Et sur le million d'espèces menacées d'extinction au cours des prochaines décennies, la moitié sont des insectes qui jouent un rôle essentiel dans les écosystèmes et dans la production alimentaire humaine.
  • Acidification des océans : les océans se sont acidifiés de +26% depuis le début de la révolution industrielle ; ce chiffre pourrait atteindre +170% d'ici 2100, ce qui serait plus acide que jamais au cours des 14 millions d'années.
  • La déforestation et les pertes de sol arable : il y a -50% d'arbres en moins dans le monde depuis l'aube de la révolution agricole, et plus de 75 % des terres de la Terre sont aujourd'hui fortement dégradées)...
    ... La liste est longue.

Crucialement, si ces impacts catastrophiques sont globaux, ils affectent en premier lieu les populations humaines les plus vulnérables (sans parler des autres qu'humains), dont l'empreinte sur la terre est la plus légère. Par exemple, sur les 2 millions de personnes décédées à la suite de catastrophes météorologiques, climatiques et hydriques entre 1970 et 2019, plus de 91 % de ces décès sont survenus dans des pays du Sud. Selon le GIEC, d'ici la fin du siècle, la chaleur et l'humidité extrêmes pourraient exposer 50 à 75 % de la population mondiale à des conditions climatiques menaçantes.

Les échecs sociaux et politiques systémiques généralisés, tels que l'impératif de croissance économique, ne facilitent pas la tâche à ceux qui sont confrontés à cette situation difficile : les économies modernes sont incapables de fonctionner sans une croissance économique continue (sa disparition entraîne des récessions et un chômage de masse, entre autres) - et pourtant, le maintien de la croissance économique nécessite une exploitation sans fin de la terre, des êtres vivants, des minéraux et des humains, juste pour que la machine continue de tourner.

Mais nous pourrions également mentionner notre dépendance extrême à l'égard des combustibles fossiles ; les inégalités croissantes ; les processus démocratiques défaillants ; ou encore le pillage et l'exploitation des pays du Sud par les pays à haut revenu, qui continuent à drainer les ressources et à s'enrichir par des "formes impériales d'appropriation,”dans le but de maintenir leurs niveaux élevés de revenu et de consommation.

Au vu de ces tendances, les scientifiques - y compris dans les agences des Nations unies - commencent à explorer les risques d'une défaillance climatique mondiale en cascade, et des formes localisées ou mondiales d'effondrement sociétal. Cela pourrait entraîner un déclin catastrophique de la population humaine au cours des prochaines décennies, voire compromettre la survie de l'espèce humaine.

Que faire ?

Des tonnes de livres, de rapports et d'articles universitaires ont été publiés sur ces questions depuis des décennies. Des millions de scientifiques et d'étudiants les étudient. Alors pourquoi laissons-nous tout cela se produire ? Ce n'est pas comme si nous ne savions pas !

Par ailleurs, des centaines de milliers d'organisations, d'associations et de mouvements sociaux ont également vu le jour à travers le monde, en réaction à cette situation. Et il existe d'innombrables films, documentaires et sites web sur ces sujets.

Mais en découvrant ces initiatives, ou en participant moi-même à certaines d'entre elles, je n'ai cessé de me demander : Pourrait-on rassembler ces idées et ces actions de base pour former un mouvement mondial plus cohérent et plus percutant ? Si oui, comment ?

Confusément, j'ai eu l'impression que pour répondre à cette question, il fallait travailler sur deux domaines critiques de changement :

1. l'éducation et la sensibilisation : De nombreux signes indiquent le manque de sensibilisation, la minimisation ou l'évitement de ces questions parmi le "grand public." Peut-être que si davantage de personnes en venaient à réaliser ce qui se passe, d'une manière plus profonde et plus pertinente sur le plan émotionnel, la mobilisation publique à l'échelle dont nous avons besoin serait-elle plus facile à mettre en œuvre ? Cela nécessiterait bien sûr que nous surmontions le sentiment d'impuissance qui découle de l'ampleur de ces questions.

2. les réseaux de mobilisation : Les réseaux sociaux en ligne sont devenus un élément central de nos vies. Ces outils ont été salués par certains comme centraux dans le développement de nouveaux mouvements populaires et démocratiques. Mais où sont les réseaux sociaux spécialement dédiés à fédérer tous les efforts de la base ? Pourquoi les informations cruciales sont-elles noyées parmi les publicités et les fake news élaborées par les GAFAM ? Ne pouvons-nous pas faire mieux que de confier notre temps de cerveau et notre esprit révolutionnaire à nos « big brothers » de la Silicon Valley ?

C'est pourquoi, au cours de ma recherche doctorale, j'ai décidé de réunir ces deux éléments et d'explorer comment les réseaux en ligne peuvent permettre un changement collectif radical grâce à l'apprentissage social.

Dans les prochains résumés, j'expliquerai ce que j'entends par ces termes, qui sont assez larges. Je montrerai également comment mon exploration de ce sujet m'a conduit à lancer deux projets de recherche participative au sein de deux communautés en ligne très différentes... et comment mon idée de ce qui pourrait constituer un « changement collectif radical » a beaucoup changé en conséquence.

Mais d'abord : Pourquoi ai-je pensé que les réseaux en ligne pouvaient être une source de changement social positif ? Je me pencherai sur cette question délicate dans le prochain résumé !